Citoyens escrocs
C’est un texte inouï, un morceau d’anthologie dont la presse marocaine n’a pas daigné relever les contradictions. Les terroristes marocains de Daech, qui non seulement annoncent leur retour massif du front syro-irakien après la déroute de Baghdadi et consorts mais qui de plus, posent leurs conditions dans un appel où ils demandent au gouvernement El Othmani « d’ouvrir ce dossier de lui trouver une solution à même de préserver la dignité » de ces derniers. Par ailleurs, ils invitent l’exécutif à « envoyer un représentant en Syrie pour s’enquérir sur place des conditions de vie des Marocains », rien que ça !
Au passage, l’« Association des Marocains de Syrie » récuse le terme de « djihadistes » et lui préfèrent celui, plus soft de « migrants ». Exit les selfies à la kalachnikov, oubliées les exécutions sommaires d’otages désarmés, à la trappe, les milliers de victimes « terrorisées » par une police des mœurs composée justement en majorité de ces Marocains de Daech qui ont acquis la triste réputation d’avoir fait bien plus que ce qu’on leur demandait.
Mais le problème n’est pas là, comment, des criminels en puissance, des personnes qui ont du sang sur la main et qui de plus, sont passibles de prison ont-ils le culot de demander à être accueillis, sinon en héros, du moins, en « bons immigrés » qui reviennent au pays ?
Le problème, chez nous, c’est que ce genre de comportement, ne constitue pas l’exception, cet état d’esprit qui fait que chacun peut demander ce qu’il veut, exiger ce qui lui passe par la tête, demander l’impossible, fait désormais partie du paysage.
Depuis le fameux printemps arabe, la parole s’est libérée et on ne peut que s’en réjouir; mais d’un autre côté, cette mentalité de « citoyen escroc » qui était marginale est devenue la règle, que ce soit ces « bidonvillois » qui s’arrangent pour bénéficier de plusieurs parcelles de terrain revendues à prix d’or, ces ONG qui empochent des subventions pour se tourner les pouces, ces écoles privées qui profitent du vide juridique pour vendre du vent à des parents angoissés, tous ces faux mendiants, ces faux handicapés mais vrais escrocs qui font du business de la misère un secteur juteux.
Bien sûr, l’escroquerie n’est pas l’apanage des pauvres; les filous, les fraudeurs, les truands, les carambouilleurs se recrutent aussi et peut-être beaucoup plus, chez les gens de la haute, à la seule différence, c’est que ces aigrefins font de bonnes affaires dont les montants donnent le tournis, non pas grâce aux règles du marché, mais grâce à la rente, qui n’est pas moins immorale que le vol à l’arraché.
Ceci dit, la tentation est grande de renvoyer ce peuple à « ses mauvais penchants » voire, à sa propre nature, en pensant comme Ibn Khadoun, que « les arabes ont la fourberie dans le sang »; mais en vérité, cette mentalité « d’escroc » est la conclusion normale et attendue d’un système qui a toujours privilégié le mensonge au parler vrai, la bassesse et la flagornerie, à l’honneur et à la fierté. « Quand il y a du flou, c'est qu'il y a un loup », à force de voir les « parvenus » du monde nouveau se goinfrer d’avantages non mérités, l'espérance, a déserté les cœurs et la rancune l’a vite remplacée.
Arracher une grande partie de cette population à cette addiction, à cet amour inconsidéré des « avantages acquis », à la pratique du « bon coup » est d'une telle ampleur que cela exige une chirurgie expéditive. D’autant plus qu’il ne faudra guère attendre des gens qu'ils rallient d'emblée des recettes éculées, présentées par des politicards eux-mêmes coupables et en désarroi qui tiennent un discours sur l’éthique, alors que leurs actes sont en totale contradiction avec toute morale.
« La véracité n'a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques », disait Hannah Arendt; mais quand on force un peu trop sur la dose, l'heure sonne toujours au moment où on ne peut plus ni mentir aux autres ni se mentir à soi-même.
« Nous ne sentons que trop à quel point il est difficile d’édifier cette société dans laquelle chaque individu aurait la place qu’il mérite, où chacun serait récompensé selon ses mérites et où, par conséquent, tous concourent spontanément au bien-être de tous », on est bien loin, aujourd’hui de cette société idéale décrite par Durkheim, mais l’espoir reste toujours permis.
Abdellatif El azizi