Bras de fer parquet/ministère : L’arbre qui cache la forêt
La récente polémique sur des frictions supposées entre le ministère de la Justice et le chef du parquet est bien l’arbre qui cache la forêt. Le ministre de la Justice, a bien procédé, le 7 octobre dernier, au transfert de la présidence du ministère public au procureur général du Roi près la Cour de cassation, Mohamed Abdennabaoui. Qui pourrait croire qu’un politique aussi aguerri que Aujjar tomberait dans un piège aussi grossier et qui, de plus, touche aux valeurs fondamentales de l’Etat de droit ? Mais l'habituelle braderie démagogique préfère toujours agiter l’épouvantail politique au lieu de pointer du doigt les résolutions nécessaires, pratiques et concrètes qui devaient accoucher du fameux miracle, censé bouleverser le quotidien des tribunaux.
Bien sûr, qui pouvait croire que la mise en œuvre de l’indépendance du parquet passera comme une lettre à la poste dans un département aussi sclérosé que celui de la justice ? Mais les résistances ne sont pas tant à chercher au niveau du ministère de tutelle et de ses rapports avec les magistrats qu’au sein même d’une magistrature pataugeant dans le brouillard malgré toutes les réformes qui se sont succédé depuis l’avènement du nouveau règne.
Aujourd’hui, les citoyens ne craignent pas tant l’instrumentalisation politique de la justice qu’ils ont peur de faire les frais de l’impunité de magistrats sans foi ni loi.
Si notre justice est très malade, c’est d’abord à cause de certains juges qui ne font pas la différence entre « servir » les idéaux de la justice et « se servir » de l’épée de Damoclès du droit. Jamais, de mémoire de journaliste (et Dieu seul sait, combien de procès en diffamation, nous avons essuyés, sans avoir été contraints de passer par la case prison, depuis les années 90, et ce, au moment, justement où tout le monde fustigeait des magistrats aux ordres), la justice marocaine n'aura autant mariné dans une telle mélasse.
Le département de la justice de nos jours est le plus pessimiste de tous les secteurs et ses usagers, les plus grands consommateurs d’injustices flagrantes. Une famille à Settat qui voit les meurtriers de leur père les narguer au su et au vu de tout le monde, des femmes tabassées par leurs maris dans toutes les villes et n’ayant pas les moyens de passer à la caisse se font insulter en public, des filles violées partout qui passent de victimes à prostituées, des paysans qui se font exproprier par un féodal qui se targue d’avoir des « amis » au sein du tribunal du coin dans n’importe quel douar…
Le petit peuple s’est adapté à ce record de noirceur en cherchant à trouver la personne idoine, l’intermédiaire qui permettra de trouver le magistrat qui juge au plus offrant. De nombreux avocats se sont d’ailleurs transformés en spécialistes en Relations Publiques, fréquentant beaucoup plus les antichambres des tribunaux que le prétoire.
Les effets de manche n’ont jamais autant mérité leur sens qu’au moment où la comédie jouée d’avance, se joue devant un public, pas dupe mais qui lui aussi a intégré les règles du jeu. Les affaires qui défrayent chaque jour la chronique judiciaire ont fini de vacciner les peuples contre ses illusions.
Parce qu’il n’y a pas de corrompu sans corrupteur, à la campagne, l’expression « je vendrai le taureau pour te jeter derrière les barreaux » n’a jamais eu autant de vérité. Cette vérité-là donne le vertige. En premier, aux rares magistrats (il en existent encore) intègres qui n’ont aucun moyen d’arrêter la machine et encore moins de s’attaquer à leur propre corporation mais le plus malheureux, c’est que ces vérités sont échangées au grand jour entre les citoyens au moment où les politiques refusent toujours de nommer.
Avez-vous déjà entendu un député soulever la question de la corruption au sein de la justice ? Résultat, la justice est toujours le grand malade de ce Maroc qui se cherche encore.
Voilà l'évidence d'une nation fatiguée, où se confirme la désertion civique dans un secteur aussi vital devant une grosse fatalité. Celle de l'inanité des réformes auxquelles nombre de marocains aimaient encore à rêver.
Abdellatif El Azizi