Bloqué(e)s : #2 Les MRE « oubliés de tous » au Maroc
Le ministre marocain des Affaires Etrangères, de la Coopération Africaine et des Marocains Résidant à l'Etranger, Nasser Bourita devrait intervenir le 23 avril devant la commission parlementaire pour le sort des Marocains bloqués à l'étranger. Dans l'autre sens, les MRE bloqué(e)s dans leur pays d'origine ont l'impression d'être les grands oubliés de la fermeture des frontières. Témoignages choisis de MRE qui attendent de pouvoir revenir en Europe pour leur travail, famille ou pour des raisons de santé.
Une liste de 1200 MRE bloqués dans l'Oriental
Le trentenaire, Ali Hammame, habitant Villeparisis en Seine-et-Marne et déclarant en douane chez Fedex, a tout de suite compris que la situation que vivaient ses parents partis le 6 mars et bloqués à Oujda, était partagée par de nombreux Marocains Résident à l'Etranger. Ses parents, MRE avec carte de séjour, partis pour un deuil, devaient rentrer le 18 mars et n'ont pu le faire en raison de la fermeture des frontières. Rassemblant ses personnes sur un groupe Whatsapp des MRE de l'Oriental, il a pu ainsi les identifier et créer les "Oubliés du Maroc". "On a créé un collectif et on a pu recenser 1200 personnes d'Oujda, Nador, Saïdia, Berkane. Il ne s'agit évidemment que de ceux qui se sont déclarés. 90% d'entre eux étaient de passage au Maroc pour des impératifs familliaux, pour signer des papiers ou pour des vacances." Les 1200 personnes sont inscrites sur la liste Ariane afin de bénéficier du rapatriement des autorités françaises. "Avec d'autres personnes, on les aide à s'inscrire, à avoir des renseignements, etc. Dernièrement, il y a eu une personne que l'on a du enlever de la liste car il est décédé d'un cancer. Il n'y avait pas le protocole nécessaire au Maroc." Pour éviter les multiples appels au consulat de France, 2 personnes sont désignées pour faire le point avec les autorités consulaires. "Pour l'instant, nous n'avons pas de retour. On essaye de faire au mieux pour les personnes retenues sur place." Ali tente de médiatiser au maximum ce collectif "Les oubliés du Maroc". Une vidéo sur Youtube fait état des histoires des MRE en question. Le député, M'jid Guerrab essaie aussi de les aider dans la mesure de ses moyens. Le groupe "Oubliés du Maroc" est aussi un moyen de faire jouer la solidarité entre MRE dans cette situation difficile. "On a mis en place une cagnotte pour venir en aide aux personnes dans le besoin. Au delà de la cagnotte, on s'entraide aussi entre nous. Une dame sans logement a pu trouver une solution par le groupe. C'est devenu comme une famille !"
"Un délai trop court pour prendre ses dispositions"
De part son métier d'agent de voyages, la lyonnaise Hajar Demnati aide particulièrement son père pour se rendre régulièrement au Maroc. Cet ancien ouvrier de 75 ans a travaillé toute sa vie chez Michelin et vit toujours à Clermont-Ferrand avec un titre de séjour de 10 ans. Il part à Mohammedia le 3 mars dernier. "On aurait pu se dire que c'était dangereux au moment où il est parti mais à l'époque, les autorités françaises parlaient de "gripette". Il était en attente d'une gazinière et attendait d'être livré pour prendre son billet retour." A l'annonce des fermetures des frontières, Mr Demnati se fait surprendre par "le délai très court pour pouvoir prendre ses précautions."Malgré ses recherches, sa fille ne trouve pas de place pour le rapatrier. Hajar tente d'appeler le consulat de Casablanca, inscrit son père sur toutes les listes. Malgré les affirmations officiels d'un traitement égalitaire, elle se demande si c'est la réalité. "Le retour d'expérience de plusieurs villes rapporte que les Marocains résident en France ne sont pas considérés comme prioritaires. Je me méfie de tout ce qui se dit et notamment du fait que le Royaume empêcherait les MRE et les franco-maghrébins de partir. J'espère que cela va se décanter pour tous : les francais, les binationaux et les Marocains Résident à l'Etranger avec un titre de séjour." Des articles du Parisien, dans un journal local lyonnais parlent de la situation de Mr Demnati, diabétique et cardiaque. "Il a un traitement qu'il peut renouveler au Maroc. Il comprend une quinzaine de médicaments et ne sont pas tous disponibles. Il a déjà pris, par le passé, des génériques du Maroc qui lui ont fait des effets indésirables (boutons sur les bras, etc..). On ne peut risquer sa vie."
"On est un point qui a été oublié par l'Etat Français"
Venue à Tétouan, Leila Batti réside depuis plus de 30 ans à Chaville dans les Hauts-de-Seine. Elle qui travaille auprès de personnes handicapées, n'a pas la nationalité française contrairement à son mari de 64 ans et à son fils. Partie le 8 mars, elle devait rentrer le 22 mars 2020. "J'essaie d'avoir des billets mais je n'arrive pas à en acheter. Je suis inscrit sur toutes les listes. Malgré le communiqué officiel d'un traitement égalitaire, j'ai été choquée par les propos d'un agent consulaire qui m'a retorqué que je n'étais pas française et donc pas concernée par le rapatriement." Elle alerte le député M'jid El Guerrab qui fait le même constat d'incompréhension. Le consulat lui envoie finalement un formulaire. "Je ne dispose d'aucune aide car j'ai mon poste qui m'attend. Mon employeur a fait un mail allant dans le sens de mon retour car il y a un manque de personnel dans l'association dans laquelle je travaille. Cela porte atteinte aux personnes que l'on accompagne. Avec mon mari, on a des charges fixes à rembourser. Ca va faire plus d'un mois que je suis sans ressources." Elle ne comprend pas pourquoi de nombreux salariés se retrouvent comme elle dans cette situation. "L'Etat a prévu de nombreuses aides pour les entreprises mais aucune concernant ceux, français ou étrangers réguliers, qui se retrouvent dans cette situation. On a l'impression d'être oublié. On est un point qui a été complètement oublié. On va finir par rentrer mais on aura eu des mois sans ressources. Qui va prendre tout ça en charge ?"
"Je suis obligé d'être en congés sans solde"
Originaire d'Oujda, Mohamed Mimouni, habite à Viry-Chatillon. Le kinesisthérapeute de 28 ans fait partie du personnel soignant d'une clinique sur Paris. "Je suis venu le 7 mars pour une semaine afin de voir ma famille. Je devais rentrer avec Ryanair mais le 10, j'ai reçu de cette compagnie un message m'indiquant que le billet était annulé. J'ai tenté avec la Royal Air Maroc mais j'ai eu le même souci. J'ai même tenté de passer par un vol vers la Belgique mais il a subi le même sort." Marocain avec un titre de séjour de 4 ans, il est en CDI depuis 2 ans. "Je ne suis pas payé depuis le 15 mars. Je suis obligé d'être en congés sans solde. J'ai demandé à passer en chômage partiel mais ils ne pouvaient pas le faire."
"Ma carte de séjour se finit bientôt"
En temps normal, Soumaia M. habite à Laken à Bruxelles. Venue pour les fiancailles de sa soeur le 12 mars, elle devait effectuer un court séjour à Al Hoceima. puisqu'elle était censée rentrer en Belgique le 16 mars. "J'ai laissé mon mari à Bruxelles. Il a une opération chirurgicale début mai et il est tout seul sans famille. Je suis inquiète car ma carte de séjour d'un an se finit bientôt et j'ai peur que cela s'éternise." Inscrite au consulat de Belgique, elle est dans l'attente d'une réponse de leur part. "On ne va contaminer personne. On a qu'à passer des tests pour pouvoir monter dans l'avion."
Imbroglio franco-italo-marocain
Epouse d'un marocco-italien, Rawan, âgée de 35 ans, est mère de 3 enfants dont la plus petite a 2 ans. Son mari, Saïd Alloui travaille en CDD dans l'aluminium depuis plus d'un an près de Mulhouse. A la fin de son contrat, son mari s'est rendu à Kénitra le 5 mars et devait rentrer le 17 par l'aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg pour renouveler son contrat. "Il est parti deux fois à l'aéroport sans succès. Il a envoyé énormément de messages au consulat également." Bien qu'italien, il ne peut prétendre au rapatriement avec ce pays."Quand on leur a demandé, ils nous ont indiqué qu'au vu de notre installation dans l'Hexagone, c'était à la France de rapatrier mon mari. Le consulat lui a demandé tous les justificatifs prouvant son installation en France, ce que nous avons fait." Sans son mari, Rawan se retrouve sans ressources. "C'est la première fois que je me retrouve comme ça. Je n'ai jamais été seule. Je suis diabétique et je ne prends mon médicament qu'un jour sur deux. J'ai peur même d'aller chez le médecin. Notre région est très touchée et mes enfants n'ont que moi pour le moment."
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