« Bayt Dakira » – Contre la tentation du pire
L’inauguration en grande pompe de « Bayt Dakira » à Essaouira en présence du roi Mohammed VI pourrait se voir comme un simple geste de plus envers la communauté hébraïque du royaume. Pourtant, il s’agit de bien plus que cela. Une dimension qui n’a pas échappé à André Azoulay qui a évoqué « ce Maroc séculaire et millénaire qui a su protéger la très grande diversité, qui est la richesse centrale de notre pays ».
Au moment où les bruits de bottes deviennent trop fréquents, où le conflit israélo-palestinien déchire les maigres espoirs de paix au Proche-Orient, la visite du roi à cet espace spirituel et patrimonial est « un signal fort du Souverain à la communauté juive au Maroc, à la communauté internationale et aux gens qui nous regardent à travers le monde pour donner une impulsion de paix, de dialogue et d'ouverture », explique Gad El Maleh qui fait partie des personnalités qui ont fait le déplacement.
Ce lieu de mémoire qui remonte le temps à travers des objets, des textes, des photos, des bijoux, des somptueux caftans, des pratiques sociales telles que le fameux cérémonial du thé, qui raconte toutes les étapes de la vie juive à Essaouira, de la naissance au décès et de la Bar Mitzvah au mariage, a un rôle pédagogique certain.
En effet, le devoir de mémoire qui confère une portée morale à la mémoire collective porte en lui, l’obligation morale de rappeler une coexistence qui n’a jamais été remise en question même aux moments les plus sombres de l’histoire. N’est-ce pas l’ancêtre du roi actuel ( Mohammed V, pour ne pas le nommer) qui avait fermement refusé de livrer des citoyens marocains juifs alors que le gouvernement de Vichy jouait les supplétifs pour le régime nazi ?
Si le devoir de mémoire est un concept né après la Seconde Guerre mondiale avec l’idée sous-jacente qu’il constituait un impératif moral auquel il est impossible aux générations futures de se soustraire pour éviter que de telles horreurs ne se reproduisent, aujourd’hui, face à la tragédie de la Palestine, savoir que des juifs et musulmans vivent en harmonie dans une contrée du monde devrait faire l’objet de plus d’attention.
Une attention qui explique aux uns et aux autres, que la désaffection internationale vis-à-vis de ce qui se passe en Palestine est le plus mauvais cadeau qu’on puisse faire aux chances de paix dans ce pays.
Montrer l’exemple d’un pays où les enfants de musulmans et ceux de familles juives ont pu user leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs de l’école. Que des mères musulmanes ont donné le sein à des bébés juifs, faisant d’eux de facto des frères de sang, était une pratique courante durant des siècles.
Que la constitution de ce pays fait du judaïsme une composante essentielle de l’identité marocaine au même titre que l’Islam et l’amazighité. Peut-être que ces exemples fissureraient l'autisme de l'État juif qui a fait de la lutte contre l’épouvantail arabo-musulman son principal cheval de bataille, nous espérons qu’ils ralentirait l'emprise grandissante du fanatisme aussi bien sur les masses arabo-musulmanes qu’au sein même d’Israël.
Au moment où l'une après l'autre, les portes étroites de la paix claquent, pour faire face aux deux fanatismes qui sont, bien entendu de portée inégale, un devoir de mémoire s’impose, mais, comme le disait si bien Albert Camus, « pas celui qu'ils façonnent en tâtonnant dans les couloirs de l'Histoire où les mensonges résonnent. Garder à l'esprit tout ce qu'ils tentent d'effacer, refuser la mémoire qu'ils fabriquent et porter celle qu'on pense mériter ».