Au delà du scandale des « femmes-mulets »

 Au delà du scandale des « femmes-mulets »

Une « femme-mulet » prête à quitter Sebta


Deux « femmes-mulets » qui meurent encore dans une bousculade entre Sebta et Fnideq, Ilham et Souad, âgées d’une quarantaine d’années, s’apprêtaient à traverser la frontière pour y ramener de la marchandise sur leur dos. Deux femmes de trop ? Pas vraiment, en tout cas, pas de ce côté-ci de la frontière où on a confié l’affaire à la justice au moment où ce sont les politiques qui auraient dû se saisir de ce dossier. 


« Une enquête a été ouverte par les autorités compétentes sous la supervision du parquet », nous apprend le communiqué des autorités locales.


Or ce dossier, au delà de la situation humiliante et dégradante  de ces milliers de femmes qui traversent dans les deux sens au péril de leur vie, est un dossier hautement politique. Non seulement, de par la situation anachronique qui font de Sebta et Melilla, les derniers bastions du colonialisme européen dans sa version la plus rétrograde et la plus injuste mais de plus, la contrebande organisée est un cancer qui mine un tissu économique marocain déjà bien mal en point tout en rapportant beaucoup d’argent aux Espagnols.


Tout ça avec la complicité de cette Union européenne qui ne rate aucune occasion pour nous donner des leçons de déontologie quand par ailleurs, la même entité accepte  de considérer Sebta et de Melilla comme des frontières extérieures de l'Union européenne, pour qu’elles jouissent encore de leur statut de ports francs et de paradis fiscaux avec l'absence de la TVA.


Cerise sur le gâteau, les deux villes sont régulièrement arrosées de généreuses subventions de l'Union européenne. Pour la partie marocaine, ce sont chaque année près de 300 millions de DHS brassés par les « femmes mulets » et qui partent dans les caisses de l’Etat espagnol à travers les deux présides occupés.


On passera sur le manque de courage de la classe politique marocaine à dénoncer l’occupation et de monter un dossier bien ficelé pour réclamer la rétrocession de ces deux territoires marocains mais ce qui dégage comme un parfum de scandale, c’est que cette idéologie du déni qui s'échine à ne jamais nommer les choses, surtout quand elles crèvent les yeux, concerne la question épineuse de la pauvreté au Maroc.


Toujours dans l'évitement, le gouvernement, prompt à faire mousser le moindre petit décret, apportant un petit plus aux Marocains, devient subitement aphone quand la réalité du terrain le rattrape. Et cette réalité là est bien dure. Trop de Marocains sont laissés sur le carreau en l’absence d’une véritable politique de lutte contre la pauvreté.


Quelles politiques publiques pour lutter contre la pauvreté ? On peut se contenter de la charité qui correspond d’ailleurs parfaitement à l’idéologie des « frères », mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que toute action contre la pauvreté s’inscrit au cœur de celle menée contre les inégalités, parce que beaucoup de Marocains parmi les plus démunis sont en train de basculer dans la haine sociale, non pas parce qu’ils sont trop pauvres, mais parce qu’ils voient bien le train de vie paradisiaque que mènent les corrompus, les trafiquants en tout, les rentiers et les profiteurs du système.


Et ne parlons pas de ces populations, «oubliées du développement», frappées par la malédiction des fortes baisses des températures qui grelottent dans les montagnes du Haut Atlas.


Or si l’on veut agir durablement contre la pauvreté, il faut prendre en compte ces inégalités dans leur ensemble et leur complexité, et surtout réfléchir aux mesures courageuses à prendre dans ce sens.


Mais cela exige ce fameux courage politique qui manque tant à nos politiques. Non pas que ce gouvernement manque de types relativement sérieux mais pour changer beaucoup de choses, il faut entretenir des relations permanentes avec la réalité, accepter souvent de négocier avec le camp d'en face une plus grande marge de manœuvre, sans se soucier des inévitables petits compromis nécessaires à sa survie politique.


La grande erreur des ministres du PJD c’est d’avoir cru qu’ils étaient là pour commander, pour appliquer le programme du parti et, du coup, ils se sont totalement coupés des interlocuteurs sur lesquels ils auraient pu s'appuyer.


Benkirane a cru qu’il fallait casser les règles pour s'imposer. Au contraire, Othmani pense que c'est quand on les respecte qu'on est libre d’avancer. Or quel que soit le style de l’homme, un ministre, ce n'est pas fait pour épater la galerie.


Abdellatif El azizi