Asma Lamrabet : « Le harcèlement des femmes transcende les cultures »

 Asma Lamrabet : « Le harcèlement des femmes transcende les cultures »

crédit photo : Fadel Senna / AFP


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Alors que l’affaire Weinstein continue de défrayer la chronique, Asma Lamrabet, médecin et chercheuse marocaine, revient sur la question de la condition des femmes dans le monde arabe. 


Dans le sillage de l’affaire Weinstein, ce producteur de cinéma américain accusé de viol et d’agression sexuelle par des dizaines d’autres, que représente le harcèlement des femmes dans les pays arabes ?


La question du harcèlement des femmes transcende les cultures et les sociétés. L’affaire Weinstein ne fait que rappeler ce triste constat. En effet, on constate que dans des pays dits émancipés, où la question des droits des femmes a une longueur d’avance, ce phénomène est resté longtemps tabou et la dénonciation des faits par les femmes s’est révélée très difficile, et ce malgré les lois en vigueur. Dans les pays arabes, les suites de l’affaire Weinstein n’ont pas connu les mêmes développements. L’ampleur des hashtags sur le sujet a été moindre et les dénonciations rares, pour ne pas dire mitigées. Au ­Maroc ou en Egypte, notamment, le harcèlement de rue est connu depuis des lustres. Ce phénomène endémique est encore trop peu dénoncé du fait du poids des tabous, de la “honte” et du “déshonneur” que l’ont fait peser sur les victimes. D’agressées, les femmes se voient en général accusées d’être responsables de ces actes du fait de leur apparence physique et elles sont supposées être des “tentatrices” qui s’ignorent !


 


La loi marocaine condamne le harcèlement des femmes au travail, mais pas dans l’espace public. La législation doit-elle évoluer ?


Le projet de loi est resté assez flou. Il devrait, à mon humble avis, évoluer vers un dispositif juridique bien plus étendu afin de sanctionner toutes les formes de violence contre les femmes, au travail, dans l’espace ­public, mais ne l’oublions pas aussi, et surtout, dans le cadre conjugal. Ceci étant dit, il faudrait aussi accompagner ces lois par un véritable travail de prévention, afin de permettre l’évolution des mentalités et ce par le biais des médias, de la culture, et surtout de l’éducation.


 


Qu’est-ce qui freine l’émancipation des femmes dans les pays arabo-musulmans selon vous ?


De façon caricaturale, la question des femmes reste en général prise en étau entre un discours religieux patriarcal rigoriste et une vision islamophobe qui perçoit l’islam comme responsable de tous nos maux contemporains. Mais, en réalité, le sujet est beaucoup plus complexe et ce qui freine l’émancipation des femmes est un ensemble d’éléments incluant la précarité économique, l’analphabétisme, l’absence d’autonomisation politique… Dans nos sociétés arabo-musulmanes, tous ces indicateurs sont “au rouge” et, point important, ils sont exacerbés par un terreau socioculturel patriarcal très résistant à la question des libertés et des droits humains. En effet, au sein de ces sociétés, la question des statuts juridiques ou du code du statut personnel cristallise toutes les tensions entre modernité et tradition.


 


Le Maroc a pourtant fait des réformes importantes comme la nouvelle Moudawana de 2004 (Code de la Famille) et la Constitution de 2011, qui stipule l’égalité entre femmes et hommes…


Oui, mais malgré cela, le pays est resté sous l’emprise d’une dualité entre un référentiel dit “religieux” et un référentiel dit “universel”. Les deux étant supposés incompatibles. D’où la difficulté à mettre en pratique les principes égalitaires importants du nouveau Code de la famille.


 


La question du religieux, et de son interprétation, demeure donc primordiale…


Oui, dans la mesure où elle constitue le nœud central de toute la question du référentiel et de l’identité religieuse dans nos contrées à majorité musulmane. Les réformes juridiques sont importantes, mais elles doivent absolument être accompagnées d’une réforme profonde de l’éducation, et notamment de l’approche du religieux. L’éducation à l’égalité, au respect de l’autre, aux droits humains, doit être enseignée très tôt, en insistant sur le fait que tous ces principes sont inhérents à la dimension éthico-spirituelle de l’Islam et qu’ils ne sont pas des principes importés comme le prétendent certains.


 


Vous avez récemment consacré un ouvrage aux questions qui fâchent en Islam au sujet des femmes. Quelles sont-elles ?


J’en ai dénombré 17. Et figurez-vous que sur ces 17 questions, il n’y en a que six présentes dans le ­Coran… et elles ont fait la réputation de l’Islam ! Il s’agit notamment de la supposée “autorité” des hommes sur les femmes (Quiwamah), de la question de la demi-part de l’héritage, du témoignage, de la polygamie, du verset qui parle de “corriger” les femmes et de la question du voile. Certes, ces six versets peuvent être considérés comme ambigus et prêter à confusion si on les soumet à la lecture littéraliste traditionaliste. Alors que les onze autres questions sont tout simplement inexistantes dans le Coran ! Leur interprétation est restée majoritairement l’otage d’une tradition séculaire misogyne et patriarcale. De ce fait, leur mise en pratique se heurte aujourd’hui aux ­valeurs et aux principes universels des droits humains. Or, ce qui doit être remis en question, aujourd’hui, ce n’est pas tant le texte ­sacré et son message spirituel que les compilations ­interprétatives, nées d’une jurisprudence islamique pauvrement ­humaine, mais qui a été sacralisée avec le temps.


 


La femme est-elle libre en Islam ?


Oui, comme peut l’être l’homme. Les femmes et les hommes sont libres et responsables devant leur Créateur. La liberté telle que prônée par l’Islam, par tous les monothéismes et les sagesses humaines universelles, est une délivrance de tous les despotismes et matérialismes d’hier et d’aujourd’hui. Il faudrait donc revenir au message spirituel originel, porteur de valeurs éthiques, telles que la justice, l’égalité et l’équité, et qui ne sont en aucun cas en contradiction avec les valeurs humanistes universelles. Bien au contraire. 


 



ISLAM ET FEMMES, LES QUESTIONS QUI FÂCHENT, éd. En toutes lettres (février 2017), prix Grand Atlas 2017, 216 p., 20 €.


 


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