Adnane Remmal : « J’ai toujours voulu développer un médicament 100% marocain »
Vainqueur du prix de l’inventeur européen 2017, remis par l’Office Européen des Brevets, Adnane Remmal est l’un des fleurons de la recherche maghrébine et africaine. Les travaux de ce biologiste marocain de 55 ans sur des alternatives aux antibiotiques lui ont déjà valu plusieurs récompenses, en Afrique comme en Europe. D’où lui est venue l’idée de fabriquer des « antibiotiques à base d’huiles essentielles » ? En quoi son dernier prix a changé sa vie de chercheur au sein du royaume ? Quelles sont ses références ? Entretien avec un homme plein d’imagination.
LCDL : Parlez-nous de la recherche qui vous a permis de remporter le prix de l’inventeur européen 2017. D’où vous est venue l’idée de fabriquer des « antibiotiques à base d’huiles essentielles » ?
Adnane Remmal : J’ai toujours voulu développer un médicament100% marocain, sans savoir lequel ! C’est d’ailleurs ce qui m’a conduit à faire de la pharmacologie lorsque je suis arrivé en France. Je me suis d’abord intéressé aux recherches liées à la pharmacologie de l’hypertension artérielle et des maladies cardio-vasculaires. Mais quand je suis revenu au Maroc en 1988 après mon doctorat, des amis cardiologues m’ont expliqué qu’ils ne rencontraient pas de difficultés à soigner l’hypertension. Au contraire, ils pouvaient réaliser des prouesses chirurgicales, et perdre des patients à cause d’infections bénignes sur lesquelles les antibiotiques n’avaient plus d’effets en raison d’une trop forte résistance des bactéries chez les malades. J’ai alors décidé de centrer mes recherches sur l’origine de ces résistances pour proposer une alternative aux antibiotiques.
En réalité cette idée provient aussi d’une synthèse de plusieurs événements qui ont enrichi ma jeunesse et le début de mes études de biologie. « J'ai été marqué par mes premiers cahiers d’écolier dans lesquelles, je voyais Louis Pasteur sur la page de garde penché sur un microscope ». En menant cette recherche, j’avais le sentiment de poursuivre l’œuvre de ce grand monsieur.
En quoi votre médicament constitue-t-il une révolution dans la médecine moderne ?
À force de mal utiliser les antibiotiques, la résistance des bactéries s’est développée. Mes huiles essentielles vont permettre de lutter contre cette résistance qui pourrait faire 10 millions de victimes d’ici 2050, selon l’OMS. L'origine de cette résistance provient principalement des animaux. J’ai découvert que lorsque les éleveurs donnaient des antibiotiques au bétail, les animaux grossissaient plus vite. Mais les bactéries résistantes sont transmises à l'homme par l’alimentation : donc si je voulais combattre la résistance chez l'homme, je devais trouver une alternative à ces antibiotiques.
J’ai donc remplacé les antibiotiques par des produits efficaces à base de substances naturelles de plantes qu’on retrouve au Maroc comme le romarin, le thym, l’origan etc. Ces plantes contiennent des substances efficaces contre les microbes et ne présentent aucune toxicité pour le consommateur final.
En les utilisant, la bactérie peine à reconnaître l’antibiotique et donc à développer un mécanisme résistant. Et grâce à ce nouveau médicament, on peut traiter un patient qui a un germe résistant. C’est donc un procédé à moindre coût qui permet en même temps de concilier l’intérêt du consommateur et de l’éleveur. Voilà en quoi, ma trouvaille est une révolution !
Que représente le prix du public de l’inventeur européen 2017 à vos yeux ?
Ce prix représente le sentiment du devoir accompli. Il me confirme que j’ai pris la bonne décision de rentrer au Maroc à la fin de mes études en France. Après l’obtention de mon doctorat en pharmacologie moléculaire, plusieurs professeurs m’ont proposé de poursuivre mes recherches à Paris au sein de leurs laboratoires mais je n’ai pas cédé à cette tentation. Mon objectif a toujours été de semer une graine dans la recherche marocaine pour que celle-ci puisse germer et donner une plante. Aujourd’hui, elle est devenue bien plus qu’une plante ! C’est un arbre dont je suis fier de récolter les fruits à travers tous mes prix.
Depuis l’obtention de ce prix le 15 juin dernier en Italie, qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien au Maroc ?
Ce prix a changé ma vie de citoyen marocain ! Le Maroc compte 30 millions d’habitants et je fais partie des rares personnes à avoir reçu une lettre de félicitations, signée de sa majesté le Roi Mohammed VI : c’est exceptionnel !
Depuis l’obtention de ce prix, je ressens en même temps beaucoup de bonheur, de fierté et une obligation d’exemplarité. A partir d’aujourd’hui, je ne suis plus un citoyen lambda. Je n’ai plus le droit de brûler un feu rouge comme certains. Je dois être à la hauteur de cette lettre royale parce que désormais, le roi me connait. S’il doit de nouveau entendre parler de moi, il faudra que ce soit toujours pour une bonne cause.
Alexis IBOHN DOOH