Maghreb. La France au pied du mur

 Maghreb. La France au pied du mur

Ludovic MARIN / AFP – JOHN THYS / AFP / POOL

Qu’est-ce que Kaïs Saïed a bien pu offrir aux Français pour avoir droit à un cadeau aussi prestigieux ? Au point où les ministres de l’Intérieur français et tunisien viennent d’ annoncer pompeusement la normalisation par la France de la délivrance de visas en Tunisie.

 

Une normalisation décidée avec « effet immédiat », se félicitent les deux ministres, Taoufik Charfeddine et Gérald Darmanin, qui se sont entretenus par téléphone.

Plus la ficelle est grosse et plus ça passe, au moment où plus aucun pays n’exige de test PCR pour l’entrée ou la sortie du territoire national, le ministère de l’Intérieur français, nous précise que cette  magnanimité du quai d’Orsay envers le régime de Kaies Saied s’explique par le fait que « la Tunisie était le premier des trois pays à avoir levé les tests sanitaires demandés pour pouvoir entrer sur le territoire » ! 

Pour rappel, à l’automne 2021, la France avait décidé de façon cavalière, avec l’arrogance qui sied à l’équipe d’Emmanuel Macron de restreindre la délivrance de visas en Algérie, au Maroc et en Tunisie, « afin d’inciter ces pays à faire des efforts en matière de coopération et de lutte contre l’immigration illégale » (sic). 

Depuis, les déclarations et surtout le comportement quasi colonial des autorités consulaires dans les pays du Maghreb laissaient entendre que l’Hexagone a définitivement décidé de tourner le dos à ses anciennes colonies. 

Plus encore et malgré la visite hautement médiatisée du premier des Français en Algérie, les dirigeants de ce pays ont dû toute honte bue, se contenter d’une simple petite tape amicale sur le dos avec la promesse de revoir le passé commun entre les deux pays, mais sans que les Algériens s’attendent à une repentance quelconque de la France. 

Alors quel acte de bravoure notable pourrait-on mettre à l’actif du sulfureux président tunisien, si ce n’est la dernière bourde qui a consisté à recevoir en grande pompe, le chef d’une milice (le Polisario) et ce, au lendemain de la fin de la visite de Macron en Algérie, pays qui soutient, finance, abrite sur son territoire et manipule une bande de mercenaires, dont une poignée de véritables Sahraouis censés mettre en difficulté le voisin marocain ?

Nul besoin d’être prophète pour prévoir des jours sombres aux relations du Maroc avec ses voisins tant que l’Hexagone continue de tirer les ficelles de la diplomatie parallèle dans ces pays et tant que l’activisme de la DGSE au Maghreb soit à son plus haut niveau. 

 

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Le mauvais air qui flotte sur cette région de l’Afrique traîne avec lui la mémoire d’un passé ravageur où on respire toujours l’odeur de grisou des tristes années du colonialisme. Qui peut encore ignorer ces nuages de néocolonialisme qui infectent, ici et là, un Maghreb fragilisé par une position géopolitique qui attise toutes les convoitises ? Ces sombres signes nous disent les dangers conjugués qui attendent le Maroc, ce pays résolument émergent, désormais vent debout désigné depuis comme l’un des boucs émissaires du déclassement de la France.  

Il suffit d’une immigration mal gérée ou bien encore que des islamistes plus français que bien des Français tonnent et donnent de la voix dans les réseaux sociaux pour qu’une idée de génie germe dans le cerveau de Darmanin qui décide de l’expulsion de l’un d’eux à la barbe fournie dont les parents ont eu le malheur d’être marocains, en sorte une victime expiatoire sacrifiée sur l’autel de l’échec de l’intégration des enfants de binationaux en France.

Menacé d’expulsion depuis plusieurs semaines, Hassan Iquioussen, prédicateur à la petite semaine, né dans l’Hexagone, mais de nationalité marocaine, est accusé dans la patrie de la liberté d’expression d’avoir tenu des propos « antisémites », « homophobes » ou « anti-femmes » dans ses prêches ou conférences. 

Maintenant que l’échec probable de la France en Afrique en général et au Maghreb en particulier est bien réel, il est sain de rappeler que les temps ont changé et que si le royaume s’avisait de fermer totalement les portes et décidait de faire cavalier seul en Afrique, plus d’un pays du vieux continent irait à la dérive, et la France en premier. 

La France devrait prendre exemple sur l’Allemagne, première puissance européenne et l’Espagne, numéro deux pour assainir ses relations avec le royaume. Sans conditions. On peut alors, avec beaucoup d’optimisme, espérer que finira par s’imposer la nécessité pour l’Elysée d’abandonner le rêve de faire plier le Maroc en actionnant une fois le chantage aux visas, une autre fois l’épouvantail d’une guerre fratricide entre frères ennemis maghrébins sans oublier bien d’autres joyeusetés, données sous la ceinture.

Mais cette fameuse « nécessité » n’apparaît guère à des hommes politiques abreuvés de démagogie.  A moins que l’Elysée compte bien sur Mme Anne-Sophie Avé, que Macron vient de nommer « ambassadrice pour la diplomatie publique en Afrique » le 31 août pour actionner cette baguette magique qui fera recouvrir à la France son aura d’antan.

 

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