Jacques Attali plaide pour une union économique et militaire du Maghreb
Un Maghreb uni, allant de Nouakchott à Tripoli, pourrait « rapidement constituer une puissance de taille mondiale ». C’est en tout cas le souhait de l’économiste Jacques Attali. Dans un long billet de blog, celui qui a été conseiller des présidents Mitterrand et Chirac s’étonne de la position onusienne sur le Sahara marocain susceptible d’éloigner encore plus la perspective d’une union régionale qu’il appelle de ses vœux.
La déclaration contre-productive de Ban Ki Moon
« Quelle mouche a donc piqué le secrétaire général de l’ONU ? » s’étonne M. Attali, en référence aux critiques de Ban Ki Moon qui utilise le terme "occupation marocaine" du Sahara qui a mis tout le pays en émoi. Cette sortie du patron de l’ONU est le meilleur moyen de raviver l’animosité entre Rabat et Alger, selon l’économiste. Déjà, plusieurs manifestations importantes ont eu lieu au Maroc en réaction à cette déclaration.
Or, c’est en grande partie le différend algéro-marocain sur la question de ce territoire qui bloque le processus d’unification régionale. Aujourd’hui, le Maghreb est l’une des zones les moins intégrées économiquement dans le monde, provoquant un important manque à gagner en matière de croissance. En 2013, le FMI estimait à 2 à 3 points de PIB perdus chaque année du fait des barrières régionales.
Langue, culture, religion : tout ou presque pourtant unit ces quatre pays d’Afrique du Nord. « Il n’a jamais été plus important, pour eux comme pour nous, que les pays du Maghreb s’entendent bien », estime Jacques Attali, lui-même né à Alger, avant d’être diplômé de Polytechnique, Sciences Po Paris et l’ENA. Mais, l’Union du Maghreb Arabe (UMA), créée en 1989, est en état de mort clinique, le Conseil des chefs d'État ne s’étant plus réuni depuis 1994.
Une potentielle puissance de taille mondiale
Pour les Maghrébins d’abord, « s’ils s’unissaient, économiquement et militairement (…), ils pourraient constituer rapidement une véritable puissance de taille mondiale. Aujourd’hui, la population de cet ensemble est de plus de 90 millions d’habitants ; en 2050, elle dépassera 150 millions. Leur potentiel de développement est considérable ». Un potentiel dû non seulement aux importantes ressources énergétiques, notamment libyennes et algériennes, mais surtout à un positionnement entre une riche Europe et une Afrique subsaharienne en pleine croissance économique et démographique.
Les économiques maghrébins et européens sont nombreux à encourager cette intégration économique. Lors du lancement du processus de négociation du traité de libre-échange ALECA entre l’UE et la Tunisie à l’automne 2015, Patricia Augier, maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille, estimait que ce rapprochement trans-Méditerranée ne devait pas se faire « au détriment d’une plus grande intégration régionale ». Prenant comme exemple les succès asiatiques en la matière, elle a rappelé que « l’intégration d’une économie dans les chaines de valeur au niveau mondial est grandement facilitée lorsqu’elle est déjà intégrée au niveau régional ».
Mais, le plaidoyer de M. Attali s’inscrit aussi dans une vision européenne de limitation de la migration. « Des millions de migrants, venus d’Érythrée, du Soudan ou d’Éthiopie, se pressent désormais en Libye et en Tunisie pour passer en Italie », rappelle-t-il. Des migrants auxquels s’ajouteront de nombreux Maghrébins, Algériens en tête, si les cours du pétrole restent aussi faibles sur le long terme. Une meilleure coopération entre les pays de la région, alliée à un développement économique créateur de richesse et d’emplois, seraient donc les meilleurs outils pour stabiliser ces populations, mais aussi pour pacifier une région aujourd’hui menacée par un terroriste alimenté par l’absence de perspectives pour de trop nombreux jeunes.
Rached Cherif