Macron II. A la mer, les arabes !
La guerre en Ukraine ? On verra plus tard. Le chômage ? Revenez après, le gouvernement vient juste de se former. Les défaillances des entreprises qui repartent à la hausse après la fin « du quoi qu’il en coûte » ? Secondaire. Par contre, la question des immigrés est au cœur des urgences françaises. Sinon comment expliquer la fébrilité de France à expulser des migrants illégaux via des ferries ?
Selon le site Africa Intelligence, le ministère de l’Intérieur français va utiliser des ferries pour expulser les étrangers en situation irrégulière vers l’Algérie et la Tunisie. Le Maroc, ce sera pour plus tard.
On apprend ainsi que « Paris va renvoyer pour la première fois des migrants illégaux présents sur le territoire français, par bateaux. Le secrétariat général pour l’administration de la police (SGAP) de Marseille, qui dépend du ministère de l’Intérieur, a conclu deux contrats, le 14 mai, à destination de l’Algérie et de la Tunisie, avec l’entreprise de transport maritime Corsica Linea qui effectue régulièrement des liaisons avec le Maghreb. La compagnie maritime est une filiale de CM Holding, consortium composé de 154 chefs d’entreprise corses. Corsica Linea est la seule compagnie à avoir déposé une offre pour ce marché ».
Pour que les immigrés n’aient pas le mal de mer et ne sentent pas dépaysés, les cabines seront sécurisées, un poste de garde et une escorte seront mis en place dans les navires utilisés pour mettre en œuvre ces mesures d’éloignement depuis les villes de Marseille et Toulon. Sur les huit lots que contenait le marché, seuls ceux visant l’Algérie et la Tunisie, sous escorte française, ont été attribués pour un montant total d’environ 1,4 million d’euros.
Certains pourraient estimer qu’après tout, Emmanuel Macron ne fait qu’appliquer ses recommandations datées de juin 2021quand il avait réuni à l’Élysée plusieurs ministres pour réclamer « une meilleure efficacité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière ». Le chef de l’État, qui au début de son quinquennat évoquait l’objectif d’un taux d’exécution de 100%, avait demandé des mesures « opérationnelles très rapidement ». « Le président a demandé que les négociations diplomatiques soient engagées de manières très volontaristes, nous envisageons des mesures plus drastiques et nos demandes seront portées à leur connaissance très rapidement », avait averti la présidence française sans autre détail.
Selon l’OCDE, l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte à l’État
A l’époque, le zèle des Jean Castex et autres Darmanin avait débouché sur la désignation de trois pays officiellement pointés du doigt par l’Élysée comme étant pourvoyeurs des étrangers irréguliers les plus problématiques : l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
Vite dit, vite fait, les « ordres » de Macron se sont traduits par des mesures coercitives contre ces pays qui refusent de reprendre leurs brebis galeuses, et l’Élysée n’a pas trouvé mieux que le chantage aux visas : officiellement, il s’agissait de réduire l’octroi des visas par deux (50%), mais en réalité, il suffit de voir à quel rythme sont délivrés les visas par les services consulaires dans un pays comme le Maroc pour constater que le flux est plutôt proche de zéro visa.
Alors l’immigration clandestine poserait problème à ce point ? Pour tordre le cou à ce cliché, il suffit de rapporter les déclarations de ces mêmes politiques. N’est-ce pas Darmanin qui expliquait que « la France a beaucoup moins de clandestins que la plupart des grands pays d’Europe, à commencer par la Grande-Bretagne : entre 1 et 1,5 million contre 600 000 à 700 000 pour nous », dans un entretien donné au quotidien Ouest-France.
En novembre 2017, son prédécesseur, Gérard Collomb, avait estimé ce chiffre « autour de 300 000 », le nombre de sans-papiers en France. Gérald Darmanin s’était d’ailleurs bien gargarisé du fait que la France recevait « 15 000 demandes d’asile de moins que l’Allemagne et expulsait trois fois plus de personnes en situation irrégulière que les Anglais, deux fois plus que les Italiens et 50 % de plus que les Espagnols » !
Pire encore, ces clandestins dont on ne veut plus représentent pourtant une main-d’œuvre corvéable et malléable à merci puisque ces travailleurs invisibles ont été les héros de la livraison rapide, du nettoyage, de la restauration, du ramassage des déchets au cours des derniers confinements. Quand une entreprise sur deux a du mal à recruter, beaucoup d’entre elles se rabattent sur des artisans, boulangers, restaurateurs, bouchers, soignants sans papiers mais performants dans leur secteur. La contribution de ces immigrés – qu’ils soient clandestins ou pas – à l’économie est bien une réalité.
A quelques semaines des législatives qui risquent de donner la victoire au Rassemblement national quand ce n’est pas à la bande à Mélenchon, en répondant ainsi à l’hystérisation des débats sur l’immigration, ce récit dit autre chose sur l’incapacité du gouvernement Macron II à dépasser les questions identitaires pour apporter sur l’immigration un regard apaisé.
Expulsions record de migrants tunisiens : une affaire d’Etat
Un petit bémol cependant, sur cette épineuse question de l’immigration, si Macron et Le Pen sont bien les fossoyeurs de ce que Edwy Plenel appelle « le devoir d’hospitalité », d’un autre côté, la résistance d’un Cédric Herrou, (cet agriculteur qui aide les migrants à passer la frontière périlleuse entre l’Italie et la France) de Secours catholique, de la Cimade, de Médecins sans frontières ou encore SOS Méditerranée est d’autant plus remarquable qu’elle relève d’un acte de courage inouï devant ce terrible défi moral qui reconnait avant tout que l’aide aux nouveaux venus relève tout simplement de l’« état de nécessité ».
Ce qui est par contre quasiment certain, c’est que la France est aujourd’hui l’homme malade de l’Europe. Bien sûr, vu de ce côté-ci de la Méditerranée, le sort des siens est encore enviable pour la majorité de nos citoyens mais cette nation est devenue la déclassée évidente de la fameuse domination occidentale. Soumise au tsunami du Covid, terrassée par la crise de l’Ukraine, ce pays, au contraire de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne n’a pas adapté, par paresse et incurie de la classe politique, la conduite à tenir face à la demande d’hospitalité des « damnés de la terre ».
Pourtant le transfert de puissance de la métropole à l’Afrique, le Maroc en est le nouveau dragon, altère les privilèges de l’Ancien Régime . La maladie de la France, c’est qu’elle ne saisit pas encore l’ampleur de sa fragilité, poussant sans fin un rocher de Sisyphe, (la question des rapports avec les anciennes colonies) qui ne cesse de retomber. Les responsables politiques totalement aveuglés sur l’état du monde se trompent encore sur le naufrage d’une nation vieillie et impotente, aux abois, qui vit désormais d’hypothèques. Derrière cette façade, la France continue de bomber le torse et veut encore dicter ses lois, alors que le Sud au lieu de s’effondrer résiste plutôt bien et défend toujours mordicus son dessein de ne pas être entraîné dans la récession qui s’annonce en Europe et qui promet déjà de dangereuses régressions.
Quand de nombreux chefs d’Etat du Sud (à l’exemple de Mohammed VI, pour ne pas le nommer) font acte de courage en refusant une philosophie politique pétrie d’arrogance qui traite le Maghreb par-dessus la jambe, un changement de politique s’impose forcément.