Macron en Algérie : Visite à très haut risque

 Macron en Algérie : Visite à très haut risque

Frank Hoermann / SVEN SIMON / SVEN SIMON / dpa Picture-Alliance via AFP

Ça  y est, cette fois-ci c’est la bonne, des journalistes triés sur le volet ont été invités à s’approcher des services concernés à l’Élysée pour couvrir la visite du président Emmanuel Macron à Alger du jeudi 25 au samedi 27 août.

 

Si pour le pouvoir algérien, il s’agit là d’une visite très importante, c’est pour montrer au monde et aux pays voisins que le président de la France a fini par céder aux sollicitations du palais de la Mouradia. Sauf que le tapis rouge d’apparat qui sera déroulé sous les mocassins de luxe du président ne doit pas faire oublier les grosses patates chaudes qui attendent Macron à Alger.

Officiellement, pour le président français, l’ambition affichée est d’ouvrir « une nouvelle page d’avenir » dans les relations franco-algériennes, comme annoncé lors de son premier déplacement à Alger, en décembre 2017. Ainsi du jeudi 25 au samedi 27, Emmanuel Macron, accompagné de Catherine Colonna, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, « évoquera les grands dossiers concernant des préoccupations communes ».

Première patate chaude : comment le chef de l’Etat français compte éviter d’évoquer le sujet numéro 1 qui agite Alger et donne des cheveux blancs aux généraux algériens, à savoir les relations avec le Maroc et la question du Sahara ? Comment évoquer le sujet numéro 1 qui préoccupe le royaume en particulier et toute l’Afrique du Nord (voire le monde) en général sans prendre position ?

Concernant le Maroc, on peut imaginer que Macron usera de son habilité lexicale pour éviter d’évoquer toute référence qui pourrait prêter à toute interprétation, ou à minima, se contenter d’user de la langue de bois usuelle pour parler avec grandiloquence « d’une France qui encourage les relations de bons voisinage » entre les deux pays.

Mais là où le président français est vraiment attendu, c’est sur la question du Sahara marocain. Sachant que par un curieux hasard du calendrier, à la veille du déplacement du président français à Alger, Mohammed VI a adressé une mise en garde ferme « aux partenaires du Royaume, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës », « Nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque », avait insisté le Souverain. Et ce, au moment où Alger, seul parrain et financier du Polisario, tente de gratter quelques miettes pour son protégé.

Deuxième dossier chaud, la guerre en Ukraine. Une guerre menée par la Russie en Ukraine, encensée par Alger et honnie par la France. Surtout que la  proximité du régime algérien avec Moscou n’est pas un secret. Signe de cette forte connexion, les mêmes soldats pointés du doigt par les médias occidentaux, feront le déplacement en novembre 2022 à Alger pour participer aux exercices militaires russo-algériens qui se tiendront non loin de la frontière avec le Maroc.

Baptisés « Desert Shield 2022 » (Opération bouclier du désert), ces manœuvres militaires impliqueront près de 160 soldats algériens et russes sur le terrain d’entraînement de Hammaguir (dans la commune d’Abadla) comme le rapporte l’agence de presse russe TASS qui précise que les soldats russes viennent « des unités de fusiliers motorisés, stationnés dans le Caucase du Nord ». 

Troisième dossier chaud, la question de l’approvisionnement de la France en gaz. Macron réussira-t-il à convaincre Alger de rouvrir les robinets, à l’heure où nombre de pays européens se tournent vers l’Algérie, en catimini, après la fameuse fermeture du gazoduc qui traverse le Maroc pour approvisionner l’Espagne.

Rien n’est moins sûr d’autant plus que rien ne va plus entre TotalEnergies et Alger. Le géant français du pétrole a définitivement décidé de se désengager de la construction d’une importante usine de pétrochimie, dans laquelle elle était pourtant engagée depuis presque cinq ans. Le projet de réalisation du complexe de polypropylène d’Arzew, au nord-est d’Oran, dont TotalEnergies détenait 49 %, prenait eau de toutes parts.

Dans un courrier adressé à la Sonatrach (51 %), la major française avait expliqué les raisons qui justifient cette décision. D’après Africa Intelligence, site généralement bien informé, « la lenteur du gouvernement algérien a par ailleurs contribué à la lassitude de TotalEnergies. Et la firme a essuyé plusieurs décisions de l’État mal digérées en interne, comme le refus du gouvernement du président Abdelmadjid Tebboune d’avaliser le rachat en 2019 des parts d’Occidental Petroleum (Oxy), autrefois dans les mains d’Anadarko sur les gisements d’Hassi Berkine Sud (HBNS), d’Orhoud et d’El Merk ».

Arrive en bonne position également, la question épineuse des visas, depuis que Paris a décidé de réduire drastiquement la délivrance tant que les autorités algériennes (marocaine et tunisienne également) n’accepteront pas de reprendre leurs ressortissants expulsés par la France. Un chantage aux visas qui empoisonne les relations entre la France et les pays d’Afrique du Nord, au point où de nombreuses voix s’élèvent de ce côté-ci de la Méditerranée pour demander l’instauration exclusive de visas pour les ressortissants français et a fini par exacerber le sentiment anti français dans ces pays.

Autre patate chaude, dans une lettre ouverte, moins d’une vingtaine d’organisations de la diaspora algérienne prennent Emmanuel Macron à la gorge en le sommant « de ne pas occulter »  la question de la dégradation des droits humains dans ce pays, et « à ne pas cautionner cette dérive despotique du régime algérien ». 

Ces ONG (dont Debout l’Algérie, Groupe Algérie Droit Devant, le Collectif des Familles de disparus en Algérie ou la Coordination des Algériens du monde…) affirment que « près de dix mille arrestations suivies d’au moins un millier de détentions provisoires abusives en violation du code pénal sont à l’actif de ce régime depuis le début des manifestations pro-démocratie du Hirak, en 2019 ». Ajoutant que « la diaspora algérienne n’est pas épargnée en raison de son implication et de son soutien massif et continu au mouvement populaire », évoquant pour preuves, la hausse des arrestations et des interdictions de sortie du territoire algérien en cet été.

Bien sûr, on évoque aussi la question mémorielle entre l’Algérie et la France mais ce dossier même s’il est mis sur la table régulièrement par l’Élysée ressemble à un discours de consommation tant que la France refuse de s’engager dans une repentance véritable. Pour amuser la galerie, l’Élysée emporte dans ses bagages à Alger quelques jeunes porteurs de la mémoire franco-algérienne, descendants de combattants du FLN, de harkis ou de soldats français.

Macron est peut-être toujours aveuglé sur l’état du Maghreb, s’il se trompe encore sur ce qui l’attend à Alger, surtout s’il veut à tout prix éviter l’image d’une France vieillie et impotente, ankylosée par le culte des « avantages acquis » dans les anciennes colonies françaises. D’autant plus qu’il n’y a plus d’avantages à conquérir ici et là, la Françafrique étant devenue un rocher de Sisyphe qui ne cesse de retomber. Dans le marasme occidental, la France est l’homme malade de l’Europe et de ce fait, elle a définitivement perdu ses réserves de puissance.

Alors Emmanuel Macron finira-t-il par regretter ce voyage forcé en Algérie ?