L’ONU s’inquiète de la détérioration des libertés et des droits en Tunisie

 L’ONU s’inquiète de la détérioration des libertés et des droits en Tunisie

Liz Throssell

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) a demandé le 11 janvier la libération ou l’inculpation formelle de deux opposants, dont le député et ex ministre de la Justice Noureddine Bhiri, estimant que « ces récentes arrestations soulèvent de graves questions concernant les enlèvements, les disparitions forcées et les détentions arbitraires en Tunisie ».

« L’évolution en décembre dernier de la situation dans ce pays du Maghreb renforce des préoccupations, déjà sérieuses, concernant la détérioration de la situation des droits de l’homme en Tunisie », s’émeut le Haut Conseil.

La porte-parole du HCDH, Liz Throssell, a déclaré mardi lors d’un point de presse à Genève, : « Nous demandons instamment aux autorités de libérer rapidement ces deux hommes (Noureddine Bhiri et un autre opposant) ou de les inculper en bonne et due forme, conformément aux normes de procédure pénale en vigueur ».

Pour rappel, le Noureddine Bhiri, proche de Rached Ghannouchi, considéré comme le numéro 2 d’Ennahda, a été arrêté et enlevé vendredi 31 décembre. « Des hommes en civil l’ont embarqué dans une voiture devant son domicile, sans mandat ni explication », a ajouté Throssell, précisant que l’ancien ministre de la Justice a été emmené dans plusieurs lieux de détention non divulgués et que sa famille ignore ses lieux de détention.

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Il a ensuite été assigné à résidence, puis, compte tenu de son état de santé préexistant, il a été transféré à l’hôpital le 2 janvier, où il reste sous surveillance. « Les autorités ont indiqué qu’il était soupçonné d’infractions liées au terrorisme », a précisé la porte-parole du HCDH, relevant que ses avocats n’ont pas été officiellement informés à ce jour des charges retenues contre le responsable d’Ennahda.

 

L’étouffement de la dissidence par l’utilisation abusive de la législation antiterroriste

Un deuxième homme a également été enlevé et placé en détention le même jour et dans des circonstances similaires, sans que l’on sache où il se trouvait jusqu’au 4 janvier.

« Bien que les familles des hommes et le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies en Tunisie aient pu leur rendre visite depuis, ces deux incidents font écho à des pratiques inédites depuis l’ère Ben Ali et soulèvent de graves questions concernant les enlèvements, les disparitions forcées et les détentions arbitraires », a regretté la porte-parole du HCDH.

Plus globalement, les services de Michelle Bachelet, Haute‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, fustigent les actions des forces de sécurité intérieure tunisiennes. Le HCDH s’inquiète en effet par ailleurs de « l’étouffement de la dissidence en Tunisie, notamment par l’utilisation abusive de la législation antiterroriste, et par le recours croissant à des tribunaux militaires pour juger des civils ». « Cela suscite de graves inquiétudes quant à l’administration équitable, impartiale et indépendante de la justice », a insisté Throssell.

Le Président tunisien Kais Saied a prolongé le 13 décembre dernier la suspension du Parlement, suspension qu’il a décidée le 25 juillet en s’arrogeant les pleins pouvoirs. Or, pour l’ONU, « toute réforme du système judiciaire civil doit être conforme aux obligations internationales de la Tunisie en matière de droits humains », et ne saurait être engagée durant l’état d’exception.

 

SNJT : « Les partis politiques sont interdits d’accès aux médias publics »

Mardi, Mehdi Jelassi, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), s’est indigné des accusations formulées par le président de la République, Kaïs Saïed, à l’ensemble des médias tunisiens lors de son intervention du 10 janvier 2022, en présence de Nejla Bouden, la cheffe du gouvernement.

Selon Jelassi, le pouvoir en place a discrètement interdit aux médias publics d’inviter les représentants de partis politiques. « La Télévision nationale agit selon les ordres directs du président de la République ! Il s’agit d’une véritable catastrophe. On interdit pour des raisons politiques à la télévision nationale, financée par l’argent du contribuable, d’inviter les représentants des partis politiques ! Il s’agit d’un dangereux précédent ! La liberté de presse est en péril ! Le classement de la Tunisie en matière de liberté de la presse sera impacté ! J’appelle le président de la République à revoir sa position ! Nous sommes prêts à militer pour la liberté de presse ! », a-t-il averti.

S’agissant ensuite de la Consultation nationale que le nouveau pouvoir s’apprête à lancer en ligne, Jelassi s’interroge : « La présidence de la République ou celle du gouvernement, se sont-elles exprimées à propos de cette consultation nationale ? Elles ont choisi de boycotter l’opinion publique en boycottant les médias ! L’attitude du pouvoir en place est celle d’un pays sous-développé ne correspondant pas à l’époque actuelle ! », dénonce-t-il.

Mehdi Jellassi a enfin contesté le droit du Palais d’évaluer les médias, tout en s’étonnant du mutisme du nouvel exécutif : « Un représentant de l’Etat est tenu de s’expliquer auprès des citoyens ! Nous n’avons toujours pas entendu la cheffe du gouvernement s’exprimer, 5 mois après sa nomination, tout comme les ministres qui refusent pour la plupart de s’exprimer ».

 

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