Une rentrée à la page
Bruxelles, Paris, Alger. Trois villes, théâtres de trois aventures qui illuminent la rentrée littéraire.
Fatima de Molenbeek
Dans son nouveau roman, Fouad Laroui raconte la double vie de Fatima, fille d’immigrés marocains à Molenbeek, quartier de Bruxelles rendu tristement célèbre lors des attentats de 2015. La Porte de Flandre, c’est la frontière entre deux mondes étanches séparés par un canal : d’un côté la capitale européenne prisée des touristes, de l’autre le quartier marocain où les islamistes tentent de faire la loi. Tel Monsieur Dutilleul, le héros du Passe-Muraille de Marcel Aymé, Fatima traverse la frontière, cachée sous un hijab et une djellaba noire. Mais Fawzi, qui convoite la brillante étudiante, la suit à son insu. Ce qu’il découvre le rend fou. Jaloux, l’homme décide de laver son honneur dans le sang. Dans ce roman haletant, Fouad Laroui raconte de l’intérieur un fait divers transformé par les médias en attentat, et suscite notre réflexion sur les aléas de l’actualité. Il montre aussi que la fiction apporte sûrement plus à la compréhension du monde que les analyses des experts.
L’INSOUMISE DE LA PORTE DE FLANDRE, Fouad Laroui, éd. Julliard (août 2017), 144 p., 17 €.
Rebelle actuelle
“Comment pouvez-vous vous appeler Marie-Adélaïde et travailler à la Miche Dorée ?” C’est la question que semblent se poser tous ceux qui croisent cette jeune fille, née sous X, et qui trime dans un fast-food parisien, aux côtés de Naji et Fatma. Elle a grandi avec les Arabes et s’en sent “proche pour des raisons obscures.” Elle considère que “les jeunes de banlieue, condamnés à n’être que ça, étaient les seuls à qui l’on refusait le droit de grandir. On les appelait comme ça depuis vingt ans”. Dans son CV, des séjours en familles d’accueil et un court passage en prison à la suite d’une bagarre. L’héroïne a une forte personnalité. Employée par une riche bourgeoise, elle humilie un ministre lors d’un dîner. Saphia Azzedine excelle dans l’art du portrait et l’on a plaisir à suivre les personnages de cette comédie sociale : une riche malade dont Marie-Adélaïde découvre le corps un matin, Kader, un mythomane qu’elle instrumentalise, et surtout la mère, millionnaire et icône de mode que sa fille finira par retrouver.
SA MÈRE, Saphia Azzeddine, éditions Stock (août 2017), 240 p., 19 €.
Mortelle librairie
Qui se souvient d’Edmond Charlot ? Né à Alger en 1915, il fonda dans la ville blanche une librairie mythique en 1936. Baptisée Les Vraies Richesses, elle est le refuge des écrivains qui y rédigent leurs manuscrits, notamment un certain Albert Camus, dont Charlot sera le premier éditeur. Servi par une documentation touffue sans être pesante, Nos richesses décrit cette aventure culturelle unique. Librairie, bibliothèque et maison d’édition, Les Vraies Richesses est un des lieux de mémoire de l’Algérie. Le roman raconte le moment où, en 2017, Ryad est chargé de se débarrasser des vieux livres et de repeindre les murs. On y fera frire des beignets, activité plus rentable que le commerce des livres. Le récit alterne avec un journal fictif tenu par le libraire, devenu, en 1942, l’éditeur de la France libre. Durant la guerre d’indépendance algérienne, la librairie sera la cible d’un attentat. Elle survivra quelque temps au départ de son fondateur, parti s’exiler de l’autre côté de la Méditerranée.
NOS RICHESSES, Kaouther Adimi, Seuil (août 2017), 224 p., 17 €.
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017