« Le choix de Naïma » : femmes et poids des traditions
Française d’origine algérienne de la troisième génération et issue de la banlieue, Samia Segaï signe un premier roman d’une honnêteté sans détours. « Le choix de Naïma » relate l’histoire de Naïma, Rabia et Rachida, trois jeunes Franco-Maghrébines de banlieue qui ont réussi dans le milieu professionnel, mais qui continuent de subir le poids extrêmement lourd de leurs traditions, dont elles peinent à se dégager. Entretien.
Le livre de Samia Segaï navigue entre identités françaises et valeurs familiales, place des femmes dans une société patriarcale et quête d’indépendance, carcan familial et liberté. A travers une écriture simple et fluide, l’auteure pointe du doigt les problématiques des femmes issues de l’immigration, tout en célébrant leur courage malgré les obstacles tenaces.
LCDL : Pourquoi avoir choisi d'écrire ce livre?
L’idée est venue d’un ami provenant pas du tout du même environnement socio-culturel que moi, qui déplorait le fait que peu de livres mettaient en avant des filles de banlieue qui réussissaient professionnellement. C’est toujours resté dans un coin de ma tête, alors, quand il y a 10 ans je me suis retrouvée à Sanaa au Yémen sans emploi, mon mari m’a encouragée à me lancer.
Dès l’instant où j’ai couché les premières lignes sur le papier, je ne me suis plus arrêtée, même si je ne savais pas vraiment où j’allai mener mes personnages. C’était grisant de les faire évoluer au fur et à mesure, jusqu’à leurs destins.
Pensez-vous que l'on assiste à une régression du statut de la femme et à une recrudescence de l'oppression patriarcale dans la diaspora?
Le statut de la femme est en pleine effervescence. Des mouvements tels que « ni Pute ni Soumise » en son temps, ou plus récemment avec le phénomène #MeToo et #Balancetonporc ont indéniablement libéré la parole des femmes. Malheureusement pas pour l’ensemble de celles-ci, notamment celles qui doivent faire face à un quotidien difficile et qui en restent exclues, sans parler de la pression sociale présente dans tous les milieux et à plus forte raison dans les cités qui freinent l’évolution des femmes.
Quant à l’oppression patriarcale, elle est toujours prégnante même si j’ai le sentiment que les pères de la deuxième et de la troisième génération, plus instruits que leurs parents, relâchent la pression sur leurs filles.
En revanche, on peut constater que les « maris » continuent de la reproduire probablement par atavisme, et font subir à leurs femmes, surtout lorsqu’elles ne sont pas indépendantes économiquement, une forme d’oppression dont elles ont du mal à se soustraire.
Selon vous, pourquoi le poids des traditions continue d'être aussi lourd, après plusieurs générations, notamment celles qui sont nées sur le sol européen, et qui ont grandi dans la culture européenne?
Les femmes issues de l’immigration continuent de faire partie de deux mondes distincts, celui de la terre d’accueil de leurs parents et celui de la culture familiale, ce qui les amène à développer une sorte de réaction pour faire cohabiter ces deux entités.
Cela passe donc par un attachement inhérent aux traditions qui leur permet ainsi de se construire et de s’approprier une identité.
Dans le livre, Naïma dénonce le communautarisme qui sévit dans les cités. Comment l'expliquez-vous, et d'après vous, comment contrer le repli identitaire?
En effet, Naïma revient sur l’épisode des bidonvilles et « la ghettoïsation », instaurée à l’époque et qui a nourri le communautarisme.
Aujourd’hui, dans les communes, on note des efforts à travers des projets d’urbanisation qui traduisent une volonté de mixité sociale. Cependant, cela reste inaccessible pour les plus démunis, ce qui creuse encore l’écart entre les riches et les pauvres et par là même, entretient le communautarisme.
Ajouté à cela, les amalgames entre musulmans et les terroristes depuis les terribles attentats survenus sur le sol français ainsi que l’exclusion de la sphère publique des femmes qui ont fait le choix de porter le voile, sont autant d’éléments favorisant le communautarisme et le repli identitaire.
Pour contrer ce repli identitaire, il faudrait un engagement de la République de changer sa perception et d’accepter enfin la réalité d’une France plurielle.
La liberté est un thème important dans votre livre. Qu'est-ce qu'elle signifie pour vous?
La liberté a toujours été pour moi fondamentale même si je l’ai gagnée assez tardivement. Plus jeune, je la rêvais. C’est notamment pour cette raison que je me suis accrochée à mes études, car j’étais convaincue que cela devait passer par un bagage académique pour acquérir l’indépendance.
Contrairement à Naïma, j’ai pu aller au bout de mes ambitions professionnelles et m’engager dans l’humanitaire avec le soutien de mes parents. Aujourd’hui dans ma vie familiale, je reste très libre dans mes choix et dans ma vie au quotidien. C’est vital pour moi !
Si vous aviez un message à transmettre à toutes les femmes de banlieue qui subissent toutes les formes de discrimination ou d'oppression, quel serait-il?
Je leur dirais de ne pas rester terrées dans leur mutisme et d’en parler. Les langues se délient, nous sommes dans une ère où l’on peut se faire entendre et se faire accompagner, notamment grâce aux associations de quartiers et les réseaux sociaux. Les femmes ne sont plus isolées.
Enfin, pour les jeunes filles, l’éducation selon moi reste encore un moyen efficace de s’affranchir des oppressions.
Quels sont vos projets pour l'avenir?
Je vais continuer d’explorer le monde avec mes deux petits bouts de 6 ans et 3 ans, et alimenter notre blog de voyage « petitsboutsvoyageurs.com » dans lequel je retrace nos aventures.
J’écris également des histoires de voyages pour enfants qui devraient être publiées prochainement. Et pourquoi pas travailler à nouveau dans l’humanitaire.