Émirats – France : Un monde gagnant perdant
Mohammed Ben Zayed, dit MBZ n’aura pas usurpé son surnom de « renard » des sables. Le leader émirati au sourire carnassier n’a jamais été aussi présent dans toutes les guerres qui secouent le Moyen-Orient et pourtant, au niveau de l’opinion publique française, le personnage semble passer à travers les gouttes. Alors qu’il est le principal commanditaire de l’offensive désastreuse sur le Yémen, c’est le nom de son disciple, l’autre Mohamed, Ben Selman, qui a l’honneur ou plutôt le déshonneur de faire la une des journaux de l’hexagone. Qui trouve-t-on derrière la crise libyenne ? Toujours MBZ et ses mercenaires, mais on ne retient que le rôle peu honorable, certes, de la France à travers Sarkozy dans le chaos qui a plongé le pays dans la guerre civile.
C’est ce qui fait l’intérêt de la parution d’un ouvrage comme « La face cachée des Émirats arabes unis », une sorte de portrait sans complaisance d’un régime qui pratique la duplicité comme mode de gouvernance et qui ne manque pas de menacer l’équilibre précaire d’une zone où les risques de déflagration seraient catastrophiques pour le monde entier.
L’auteur rappelle à juste titre qu’au moment où le jeune souverain saoudien essuie les critiques les plus violentes dans l’opinion publique internationale (le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi est passé par là) son maître à penser, MBZ qui tire les ficelles dans les coulisses, continue à trôner dans les salons de l’arrière-cour de l’Élysée jouissant d’une réputation sans commune mesure avec le machiavélisme du personnage, dénonçant au passage « cette fameuse face cachée, faite de duplicité, de mensonges, de déstabilisations, de fraude fiscale et de blanchiment, de sales guerres (au Yémen), de crimes écologiques, de violations des droits de l’homme, de soumission des femmes, de maltraitances des immigrés (sauf bien sûr les riches touristes occidentaux et les investisseurs !) ».
D’autant plus que Michel Taube, lève le voile aussi sur le rôle réel des Émirats dans le financement de l’islam en France. Il s’inquiète ainsi de l’aveuglement des élites de l’hexagone qui ne voient pas qu’une grosse partie des fonds provient de « l’Arabie saoudite et des Émirats, où la conception de l’islam n’est pas celle que les Français de confession musulmane souhaitent ».
En réalité, si la France pense avoir misé sur le bon cheval en donnant carte blanche à TBZ et son poulain wahhabite, MBS, c’est que les stratèges de l’Élysée sont obnubilés par de petits gestes comme l’ouverture du Louvre ou de la Sorbonne à Abou Dhabi ou encore les contrats d’armement secrets. Pourtant, les deux compères qui s’affairent à orienter les crises d’envergure du Moyen-Orient et du « proche Maghreb » sont en passe de transformer le grand remue-ménage arabo-musulman en tragédie shakespearienne. Leur soutien à la dictature syrienne de Bachar el-Assad a mis à jour l’épouvantable répression des révoltes populaires, la théocratie saoudienne tente d’établir sa dictature sur l’idéologie laïque des communautés – chrétienne, druze, kurde – qui redoutent le pire de la révolte sunnite, le renversement de Moubarak a ouvert le front à une guerre civile rampante, en Égypte. L’hystérie incontrôlable d’une guerre de la guerre du Yémen a plongé le pays dans la famine, et l’expansionnisme de ces deux puissances régionales, fortes du soutien de Washington et de la « lâcheté » des Européens tente de s’étendre au Maghreb, avec un faible pour l’Algérie, un pays en ébullition que l’on veut maîtriser dans l’immédiat par le soutien à une dictature militaire, sans égard pour les risques et les rebonds imprévisibles de l’anarchie.
Comme le dit si bien Taube « finalement, comment peut-on encore fréquenter ces chers émirs ? »
* La face cachée des Emirats Arabes Unis
Michel Taube (éditions Cherche Midi)