Aurélien Ducoudray sur Monsieur Jules : « La prostitution actuelle est terrible, mondialisée et ultra capitaliste »
Deux conceptions du proxénétisme qui se font face et se confrontent dans un polar social aussi dur que poétique : c’est ça Monsieur Jules. La nouvelle bande dessinée du scénariste Aurélien Ducoudray, illustrée par Arno Morin, sortira le 25 septembre en librairie. Interview avec l’auteur.
Quelle est l’histoire de Monsieur Jules ?
Monsieur Jules est l’histoire qui accompagne le plus vieux métier du monde. Le personnage est un maquereau qui emploie deux dames d’un certain âge. Un jour, il va trouver dans le jardin de son immeuble une jeune femme africaine avec un coup de couteau dans le ventre. Il va s’apercevoir qu’elle fait partie d’un réseau de prostitution contre son gré, et va décider de l’aider. Il y a un petit côté vieux film français dans ces personnages-là. C’est en fait la rencontre entre la prostitution à « l’ancienne », et son côté un peu cinématographique, avec la prostitution actuelle, qui est absolument terrible, mondialisée et ultra capitaliste.
D’où vous est venue l’idée de cette bande dessinée ?
Ce que j’aime, c’est confronter deux mondes. Deux mondes qui font la même chose, mais qui ne le font pas du tout de la même façon. J’ai eu envie de casser cette image, justement très romantique de la prostituée dans les œuvres romanesques, comme dans l’Hôtel du Nord, où les prostituées parlent d’une façon relevée, etc. Je voulais secouer tout cela, et montrer que la prostitution est rarement consentie, et que c’est une chose absolument abominable.
Vous êtes aussi documentariste, y a-t-il eu un travail d’investigation en amont de l’écriture de votre scénario ?
Oui et non. En fait, cela fait très longtemps que j’avais envie de travailler sur ce sujet-là. Il y a vingt ans de cela, j’étais employé dans un quotidien qui m’avait envoyé à Limoges pour un week-end. Il y avait beaucoup de filles qui travaillaient dans ma rue, des filles des pays de l’Est et des Africaines. Un soir, une jeune prostituée s’était fait assassiner sous mes fenêtres. Ça m’est resté dans la tête très longtemps. Cet incident a réveillé en moi des envies d’histoires, et des envies de côtoyer des personnages au quotidien à travers l’écriture. Mais non, je ne suis pas allé au contact de ce réseau ou autre. Ce que je voulais avant tout, c’était de faire une fiction, pas un documentaire.
Pourquoi la BD, après avoir touché à pratiquement toutes les facettes du journalisme (Photographe de presse, journaliste rédacteur écrit, journaliste reporter de télévision, documentariste) ?
Je suis devenu scénariste totalement par hasard. Ce n’était pas une vocation, je ne rêvais pas de cela depuis tout petit. C’est arrivé à la rencontre d’un scénariste quand j’étais encore journaliste, et ça s’est enchaîné d’une façon un peu magique. En étant journaliste, il y a une ligne rouge que l’on ne peut pas franchir, qui est celle de la fiction. Avec la BD, je peux et je dois la franchir. C’est un tout autre terrain de découverte et de jeu. C’est une liberté incroyable. Je trouve que la fiction de nos jours raconte peut-être mieux la réalité. On a plus d’armes pour raconter la réalité que le journalisme, où je me suis plusieurs fois heurté à ses limites. J’aurais voulu raconter d’autres choses, mais ma position en tant que journaliste ne me le permettait pas.
Si vous n’étiez pas passé par le journalisme, auriez-vous écrit d’une façon différente ?
Le journalisme conditionne totalement ma façon d’écrire, même quand j’écris de la science-fiction. Je me sers de mes vieux réflexes, j’essaie de beaucoup me documenter si le sujet le nécessite, et après, il me faut transformer cette matière journalistique en fiction. Ce qui m’intéresse, c’est le point de vue. Je trouve cela très intéressant d’avoir un point de vue sur les choses. Le journalisme actuel comme il est pratiqué, avec un pour et un contre dans le même article, ne m’intéresse pas du tout. J’aime les journalistes qui ont des points de vue. Par exemple, Florence Aubenas, elle me transporte. Chaque livre, chaque article que je lis d’elle, je trouve cela brillant, car elle a un point de vue.
Diriez-vous que vous êtes un scénariste engagé ?
Je déteste quand on me dit que je suis un auteur engagé, je n’aime pas du tout ce mot-là. Je pense être un scénariste concerné. Engagé, ce serait pour moi quelqu’un qui travaillerait pour des associations contre la prostitution, ou qui reverserait la totalité des bénéfices de son album à une association d’aide aux prostituées. Ce n’est pas du tout le cas. Mon métier c’est d’écrire des histoires, je ne suis pas assistant social. Par contre, je me sens très fortement concerné par les sujets que je traite, et ce n’est pas un hasard si je choisis des sujets actuels et sociétaux assez forts.
Monsieur Jules tient-il un statut particulier au sein de votre bédéographie ?
Oui, c’est un album auquel je tiens. C’est un scénario que j’ai écrit il y a un petit moment, et que j’avais entièrement terminé. Il n’y a eu aucun changement quand je l’ai donné à Arno, le dessinateur. J’ai un peu hésité avant de le confier à quelqu’un, parce qu’il y a pas mal de choses qui sont assez personnelles dedans. Le caractère du personnage ressemble beaucoup à mon grand-père. Il y a quelques anecdotes qui font écho à son tempérament, même s’il n’a jamais travaillé dans un réseau de prostitution (rires). J’aime insuffler des choses personnelles, cela me permet d’aimer un peu plus mes personnages, même quand ils ne sont pas forcément aimables. Tous les livres qui sont plus contemporains, ou qui ont un fond social très fort, c’est beaucoup d’expériences personnelles ou journalistiques. J’avais fait un livre, Békame, qui relate l’histoire d’un clandestin, et qui a été le fruit de tous les reportages que j’avais faits en côtoyant les sans-papiers.
"Monsieur Jules" d’Aurélien Ducoudray, aux éditions Bamboo, disponible en librairie à partir du 25 septembre.