Maisons de la poésie, symbole du mécénat culturel des Emirats
Avec aujourd’hui pas moins de sept Maisons de la poésie réparties sur six pays aux quatre coins du monde arabe, les Emirats Arabes Unis ont discrètement fait œuvre de salut littéraire public, créant un vaste réseau interconnecté de sanctuaires voués à l’essor et la préservation de la poésie arabe, en collaboration avec les autorités locales. Le point sur le bilan de ce projet dans le Maghreb : au Maroc et en Tunisie.
La Maison de la poésie de Kairouan a récemment abrité la 2ème édition du Festival international de la Poésie arabe
Perspective historique
Cet intérêt pour le mécénat littéraire ne date pas d’hier : il est profondément ancré dans la culture de ce pays du Golfe, notamment à Sharjah, l’un de ses sept émirats. La richesse des compositions littéraires arabes y est en effet traditionnellement tenue en haute estime.
Ainsi la poésie fait depuis toujours partie intrinsèque de la culture nationale émiratie, s’inscrivant dans une longue tradition de communication orale, initialement en grande partie favorisée par la transmission du Coran. Dans cette culture millénaire, tout homme capable d’éloquence et sachant composer des vers fait l’objet d’un respect unanime.
Parmi les thèmes qui dominent dans la poésie locale, citons la la chevalerie, l’éloge de soi-même et des autres, le patriotisme, la foi religieuse, la famille, l’honneur, et l’amour. Le style et la forme de la poésie dans les émirats remontent aux influences de l’érudit arabe du VIIIème siècle Al Khalil Bin Ahmed. Le poète le plus connu dans les émirats est Ibn Majid, né entre 1432 et 1437 à Ras Al-Khaimah. Issu d’une prospère famille de marins, Ibm Majid a laissé 40 compositions.
Plus récemment au XXème siècle citons Khalfan Ben Musabah (1923-1946), et Sultan bin Ali al-Owais (1925-2000), qui reprend surtout le style de la poésie populaire dite Nabatie, une forme vernaculaire très répandue depuis le XVIème siècle.
Néanmoins, au total, le nombre de livres publiés en arabe, soit d’œuvres originales soit de traductions, est en régression ces dernières années, d’où l’initiative du prince Sultan bin Mohammed al-Qasimi, émir de Sharijah, lui-même poète et homme de théâtre, d’y palier à une échelle internationale, engageant l’ensemble de la région MENA dans la concrétisation de l'idée des Maisons de la poésie. Sous l'impulsion dal-Qasimi, qui est aussi membre du Conseil suprême des Émirats, al Sharijah retrouve par ailleurs une effervescence littéraire à travers une foire internationale du livre qui a valu à l'émirat d'être désignée capitale mondiale du livre 2019 par l’Unesco.
Visite d'Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur de France en Tunisie, à la Maison de la poésie de Kairouan
Le Maroc, pays le mieux loti, avec deux Maisons de la poésie
Dès janvier 2016, l’ex ministre de la culture Mohamed Amine Sbihi avait signé un mémorandum d’entente avec son homologue du gouvernement de Sharijah Abdullah Bin Mohammed Laouis, pour la création d’une Maison de la poésie dans la ville de Tétouan. Un projet qui vise à contribuer à la « renaissance de la poésie en encourageant la création poétique », selon Sbihi. Un espace aussi, promet-il, qui sera un « lieu de rencontre entre des poètes du Maroc et d’ailleurs ».
Pour le secrétaire général du ministère de la Culture Mohamed Lotfi Mrini « la Maison de la poésie constitue un projet civilisationnel et culturel unique en son genre au Maroc, qui va permettre aux créateurs marocains de promouvoir le rayonnement de leurs œuvres et aux chercheurs dans les domaines de la critique et de la littérature de réaliser leurs travaux de recherche et œuvres littéraires, outre la valorisation du patrimoine immatériel du Royaume ».
Un an plus tard, les infrastructures culturelles, à Marrakech cette fois, étaient renforcées en 2017 par la création de la Maison de la poésie, la deuxième du genre donc au niveau national, après celle de Tétouan.
Sa création intervient suite à la réussite de l’expérience de la prolifique Maison de la poésie de Tétouan, qui a organisé tout au long de son année inaugurale diverses manifestations poétiques, ayant connu « une affluence record et la participation des différentes sensibilités poétiques du Maroc, en plus de l’organisation de la première édition du Festival des poètes marocains et le Prix national des jeunes poètes ».
Kairouan retrouve son statut de capitale littéraire séculaire
Avant le Maroc, c’est en Tunisie que dès décembre 2015 voyait le jour une Maison de la poésie similaire, en plein cœur de la prestigieuse capitale aghlabide de Kairouan, à l’entrée de sa vieille ville, grâce aux mêmes fonds émiratis.
Dans un entretien accordé au Courrier de l’Atlas, sa présidente la poétesse Jamila Mejri cite quelques highlights qui ont ponctué la vie littéraire kairouanaise depuis l’inauguration de la Maison de la poésie, dont les régulières visites du ministre de la Culture Mohamed Zine al Abidine, ainsi que les visites de courtoisie de l’ambassadrice du Canada en Tunisie Carol McQueen et de l’ambassadeur de France en Tunisie Olivier Poivre d’Arvor que l’on sait particulièrement féru de culture et qui a appelé de ses vœux une future coopération avec l’institution, s’agissant notamment de travaux de traduction.
« Le plus grand volet de nos activités consiste non seulement en des récitals hebdomadaires de poésie agrémentés de musique arabe, mais aussi de conférences – débats ayant trait à des problématiques littéraires contemporaines. Nous animons également depuis peu en partenariat avec la société civile des ateliers d’apprentissage de l’écriture poétique destinés aux amateurs, notamment les plus jeunes d’entre eux », explique la présidente, qui se félicite d’avoir réussi à fidéliser un public régulier venant de sa ville natale mais aussi d’autres régions du pays.
En sus du Maroc et de la Tunisie, les autres maisons de la poésie relevant de cet ambitieux projet en pleine expansion se trouvent respectivement en Egypte, au Soudan, en Mauritanie, et en Jordanie.
Seif Soudani