L’impossible gouvernement Mechichi
Relativement inconnu du grand public, le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi s’avère être étonnamment bon communicant. Une aisance verbale qui ne saura probablement pas d’un grand secours s’agissant de la tâche titanesque qui lui incombe.
Désigné par le légaliste président tunisien Kais Saïed, Hichem Mechichi (46 ans) aura pour lourde tâche de redresser le pays meurtri par la crise post Covid-19
Tunis – Le troisième gouvernement depuis janvier 2020 est en pleine gestation. Il s’agit du 9ème gouvernement depuis la révolution de 2011. Ses deux prédécesseurs, les gouvernements Jemli et Fakhfakh, ont respectivement échoué à obtenir la confiance et duré à peine 5 mois.
Mais si ce dernier est tombé pour soupçons de conflit d’intérêts, de nombreux observateurs s’accordent à penser que si Elyes Fakhfakh avait bénéficié d’une solide majorité parlementaire, il n’aurait sans doute jamais été inquiété à ce jour.
L’Histoire est un éternel recommencement
Or, même si son successeur, son propre ministre de l’Intérieur Hichem Mechichi, n’est cette fois pas issu des milieux de l’argent et des affaires, le très fragmenté Parlement tunisien est quant à lui plus que jamais d’actualité. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, quand bien même Mechichi venait à réussir à former une équipe ministérielle restreinte, il se heurterait toujours, demain, aux blocages inhérents à un système parlementaire mixte.
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Ni Carthage ni la rue ne veulent d’un gouvernement type coalition de partis. Et ni les deux partis arrivés en tête des dernières élections, dont Ennahdha, ne voudront d’un gouvernement de technocrates.
Conséquence, à défaut de pouvoir faire voter la moindre loi, faute de ceinture politique cohérente à l’Assemblée, Mechichi, cet énarque issu des rouages de l’administration, pourrait alors être tenté par le contournement du pouvoir législatif par un pouvoir bureaucratique : une équipe de compétences, qui aurait ses relais au sein de la société civile et de l’Etat profond. Mais pour combien de temps ?
Cette instabilité gouvernementale en Tunisie n’est pas sans rappeler celle de l’Italie voisine, où 52 gouvernements italiens en place entre les années 50 et 90, avec une moyenne de 10 mois de durée de vie par gouvernement, avait conduit à une réforme du code électoral.
« Le gouvernement de tous les Tunisiens » : un vœu pieux
Lors de ses deux sorties médiatiques depuis qu’il fut chargé de former un gouvernement en juillet dernier, Hichem Mechichi a voulu marquer les esprits via deux déclarations phares :
« Ce gouvernement aura pour mission de stopper l’hémorragie » (économique, ndlr), et « Ce sera le gouvernement de tous les Tunisiens ». Une déclaration d’intention qui se heurtera immanquablement à la réalité d’une société et d’une scène politique marquées par le retour de querelles idéologiques, avec une forte percée dans les sondages d’opinion des forces représentants la nostalgie à l’ancien régime.
Comme pour conjurer le sort, à Dar Dhiafa où ont lieu les tractations en vue de la formation du gouvernement, Mechichi s’est fendu d’une opération com’ en conviant à sa table 4 anciens chefs de gouvernement dont deux islamistes : Hamadi Jebali, Ali Larayedh, Habib Essid et Youssef Chahed. Le message qui en est ressorti n’est pas du goût de tous.
Il laisse à penser en effet que Mechichi considère que les premiers ministres de l’ancienne troïka avaient suffisamment réussi pour livrer leurs recommandations à son endroit. Mais pour une majorité de Tunisiens, ces quatre hôtes sont autant d’incarnations de la dégradation de la situation sociale du pays.
Techniquement, le nouveau chef de l’exécutif dispose encore de deux semaines pour livrer la composition de son équipe. Entre temps, de plus en plus de voix appellent à un remake d’une solution type Mehdi Jomâa (dialogue national 2013 – 2014) pour sortir de l’impasse politico-institutionnelle.
En clair, un engagement moral d’une année seulement de pouvoir, le temps de l’instauration d’une Cour constitutionnelle, avec des élections anticipées à la clé. Un scénario loin de garantir un paysage meilleur que l’actuel émiettement parlementaire, avec pour potentiel gagnant les forces de « l’ancien monde » pré 2011.