Limogeage du ministre de la Culture, quelles conséquences politiques ?

 Limogeage du ministre de la Culture, quelles conséquences politiques ?

Walid Zidi et Hichem Mechichi

Tard dans la nuit de lundi à mardi, la présidence du gouvernement a publié un communiqué faisant état du limogeage du ministre de la Culture Walid Zidi (34 ans), enseignant malvoyant en poste depuis tout juste un mois. Une éviction d’autant plus spectaculaire que l’homme remercié se pensait intouchable, protégé par la présidence de la République. Décryptage.

 

Walid Zidi annonçant le 5 octobre son opposition aux mesures anti Coronavirus touchant la culture 

 

C’est le ministre du Tourisme, Habib Ammar, qui assurera la gestion par intérim du département de la Culture. Comment en est-on arrivé à une telle instabilité gouvernementale ? Pour le comprendre, il faut remonter aux causes de l’indiscipline affichée de plusieurs ministres du gouvernement Hichem Mechichi, dont la désignation fut décidée par le président Kais Saïed lui-même, en inadéquation avec les impératifs constitutionnels. Des nominations qui remontent à un passé proche où l’éphémère lune de miel était encore de mise entre Saïed et Mechichi. Depuis, l’entente s’est mue en cohabitation.

Sur le plan de la forme, l’illustration de la présidence du gouvernement titrée « LIMOGEAGE » se voulait sans doute à valeur d’exemple 

Un ministre récidiviste

C’est que le ministre de la Culture avait déjà à son actif un avertissement, et pas des moindres, passé à deux doigts de lu limogeage 24 heures seulement après sa nomination à ce poste.

Emu par une nomination qui le subjugue, Zidi s’était fendu d’un statut Facebook aussi poétique que romancé, pour décliner le ministère, n’étant de son propre aveu pas apte à diriger un tel département. Logiquement, l’homme est officieusement écarté dès le lendemain Par Mechichi.

Mais obstiné et têtu, le président de la République va organiser une étonnante rencontre au Palais de Carthage pour réhabiliter « son » ministre malvoyant, qu’il va devant les caméras de la présidence noyer sous les compliments et les superlatifs, citant abondamment des textes coraniques et le comparant nommément au grand écrivain égyptien Taha Hussein. « Misérabilisme de mauvais goût », rétorquent alors de nombreux artistes à propos des querelles politiciennes autour de leur ministère de tutelle.

Début septembre, Zidi, qui s’était rétracté plaidant le malentendu, ne devait son maintien qu’aux règles de bienséance appliquées par la présidence du gouvernement elle-même encore fraîchement désignée et sans appuis politiques au Parlement. De l’eau a coulé sous les ponts depuis : fort du soutien d’une majorité parlementaire Ennahdha – Qalb Tounes – Karama, Mechichi s’est affranchi de sa dépendance morale envers Carthage. De leur côté, certains de ses ministres, manifestement restés loyaux à leur parrain initial, agissent plus ou moins en électrons libres.

C’est dans ce contexte de défiance que Walid Zidi a convoqué une conférence de presse hier lundi au ministère de la Culture pour y déclarer notamment son hostilité aux récentes mesures gouvernementales de prévention anti Covid-19, s’agissant de l’interdiction des rassemblements et évènements culturels : « Je milite à vos côtés vous les artistes qui vivez du théâtre et d’autres arts, scande-t-il ! »… Un ministre opposant, voilà qui s’apparente à du jamais vu dans l’histoire politique du pays.

Zidi ajoute : « Nous sommes le ministère de la Culture ! Avez-vous lu une directive en ce sens rédigée par moi ? Nous ne sommes pas là pour appliquer les textes des communiqués de la présidence du gouvernement ! ». Aussitôt ces paroles prononcées et diffusées par Alarabiya, la messe était dite. Difficile en effet d’envisager un autre scénario que l’éviction du responsable sécessionniste sur le champ.

 

Cacophonie générale et crise de la gouvernance

Paroxystique, un tel comportement cavalier est le résultat direct de l’impulsion « révolutionniste » que le président de la République Kais Saïed a insufflée à « ses » ministres.

En recevant en septembre dernier la ministre des Domaines de l’Etat, Saïed avait aussi publiquement et solennellement déclamé, menaçant, en arabe littéraire : « Ceux qui veulent vous faire remplacer en auront pour leur compte ! Leurs noms seront révélés », faisant allusion à la nouvelle troïka. Or, dans le cas de l’espèce, le tumultueux ministre de la Culture n’a pas eu besoin du concours ni du parti islamiste ni des partis affairistes « ennemis du peuple » comme les appelle Saïed, pour se mettre en position de ministre éjectable.

Dès son arrivée à la Culture, l’homme avait entrepris une série de rencontres avec des stars des sitcoms, ponctuant ces rendez-vous par des récitals où on le voit jouer du luth dans son bureau. Une entame de mandat bon enfant qui en a fait cependant la risée d’une partie des réseaux sociaux.

Derrière ce style vaguement populiste, empreint de verbiage, d’émotionnel, d’états d’âme et de bons sentiments, en réalité calqué sur le style présidentiel, se cache subtilement une dictature de l’émoi. Cela transparait dans l’allocution autoritaire de Zbidi hier ayant conduit à son remerciement tout aussi violent.

En sifflant la fin de la récréation et des caprices d’enfants gâtés de Carthage, Mechichi signe aujourd’hui l’acte fondateur de son mandat par un message clair : celui de sa souveraineté décisionnelle.