Libye : Le site archéologique de Cyrène menacé de toutes parts

 Libye : Le site archéologique de Cyrène menacé de toutes parts

Une photo prise le 10 janvier 2020 de l’ancienne ville grecque de Cyrène fondée en 630 avant JC, à la périphérie de la ville libyenne de Shehhat, à l’est de la ville côtière de Benghazi. ABDULLAH DOMA / AFP

Les ruines spectaculaires de la cité antique de Cyrène ont survécu à la sanglante révolte libyenne, aux conflits et au chaos. Aujourd’hui, ce sont les constructions anarchiques et les pelleteuses des habitants qui empiètent sur mettent en péril « l’Athènes africaine ».

 

Sous un doux soleil de printemps, une poignée de visiteurs profite d’un retour au calme relatif pour découvrir ou redécouvrir le splendide site de Cyrène, perché sur une colline battue par les vents de la Méditerranée.

Pas de file d’attente ni de nuées de touristes à Cyrène. Les rares visiteurs libyens ont tout le loisir de déambuler dans le sanctuaire d’Apollon, l’amphithéâtre ou le temple de Zeus, plus vaste que le Parthénon sur l’acropole. Au cœur de l’immense cité grecque, des bustes de divinités funéraires « aprosope » (sans visage) et de grands nus en marbre sont disposés dans un petit musée niché sur un plateau fertile.

Chaque objet d’art « offre un regard sur les différentes civilisations qui se sont succédé » dans la nécropole, lance fièrement Ismaïl Dakhil, responsable au Département des musées dans l’est de la Libye.

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L’antique cité hellène du littoral oriental libyen a été fondée au VIIe siècle av. J.-C.. « Romanisée, elle resta une grande capitale jusqu’au tremblement de terre de 365 », selon l’UNESCO, qui l’a inscrite en 1992 au patrimoine de l’Humanité.

Urbanisation galopante

Cyrène est située à environ 180 km à l’est de Benghazi (est), berceau de la révolte ayant entraîné la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Le pays a depuis sombré dans le chaos, suscitant de vives inquiétudes sur l’avenir de son patrimoine antique. En 2016, l’UNESCO a classé la cité de Cyrène et quatre autres sites libyens du patrimoine parmi les sites en péril.

À la guerre s’ajoutait la menace des groupes jihadistes implantés alors à Derna, à une soixantaine de kilomètres de la nécropole, avant qu’ils n’en soient chassés. Conflits armés et combattants islamistes ont finalement épargné les trésors du patrimoine antique libyen. Et si l’« Athènes africaine » a vu sa partie protégée préservée, ce n’est pas le cas hors de ce périmètre, dans la localité de Shahat, à la lisière de Cyrène.

En cause, des pillages en série qui nourrissent le trafic illicite d’œuvres d’art et une urbanisation galopante. À coups de pelleteuse, des constructions cubiques sans âme sont érigées sur des parcelles « renfermant des antiquités, que les habitants se partagent pour les revendre », alerte Adel Abou Fejra, responsable au Département des antiquités à Cyrène.

Certains habitants de cette ville de moins de 50 000 âmes ont « repris de force des terrains, dont ils avaient été dépossédés par l’État. Ils les ont divisés en parcelles et les ont vendus pour y construire » des logements, explique-t-il. Le site est perçu comme un « obstacle » face aux besoins pressants en logements, alors que le plan local d’urbanisme, jamais mis à jour depuis 1986, est largement ignoré.

L’État absent

Quelle est l’ampleur des dégâts ? « Nous ne sommes pas en mesure de l’évaluer », dit-il, les atteintes ayant été commises « sur la partie du site hors de notre contrôle ». Ismaïl Dakhil aussi, ne cache pas son désarroi. Cyrène est victime de « pillages », « d’actes de vandalisme », de « fouilles sauvages », avec pour conséquence des œuvres d’art « exhumées et expédiées hors des frontières ». Sans oublier l’urbanisation « anarchique qui empiète » sur la cité antique.

Le son de cloche est tout autre chez les habitants. Comme Saad Mahmoud, qui défend sa « liberté d’exploiter sa propriété privée » jouxtant le site. S’il « y a un problème », dit-il, « c’est à l’État de trouver des solutions en nous versant des indemnités correspondant aux prix élevés » des terrains.

La Libye dispose d’un arsenal juridique visant à protéger son patrimoine antique, encadrer les fouilles archéologiques et sanctionner les contrevenants. Mais, les lois s’avèrent peu dissuasives avec des « amendes dérisoires et des peines de prison très courtes », selon M. Dakhil.

Après une décennie de chaos et d’instabilité, un nouveau gouvernement unifié vient d’être mis sur pied pour clore le chapitre des divisions. Une embellie politique qui pourrait faire voir la lumière au bout du tunnel.

(Avec AFP)