Assaut sur Tripoli : bilan meurtrier et nouvelles forces en présence
Au terme de 18 jours d’affrontements autour de Tripoli, un nouveau lourd bilan fait état de 254 morts et 1.228 blessées dans les combats qui opposent le gouvernement d'union nationale (GNA) soutenu par l'ONU, et l'Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par Khalifa Haftar basée dans l'est de la Libye.
Annoncé dimanche par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ce bilan est aujourd’hui détaillé comme suit : « Au cours de la semaine écoulée, des équipes médicales d'urgence spécialisées de l'OMS en Libye ont mené 89 interventions majeures et 63 opérations chirurgicales dans les hôpitaux les plus proches du front. Nos équipes fournissent des renforts à ces hôpitaux », a tweeté la représentation de l’OMS en Libye.
Quelques heures plus tôt, la même source révélait que plus de 20.000 personnes ont été déplacées, forcées à fuir leurs foyers depuis le début du conflit armé, abondamment vers la zone frontalière avec la Tunisie.
Guerre psycho-médiatique
Dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, L'ANL mène depuis début avril courant une offensive militaire déterminée à s'emparer de Tripoli, siège de ce qui reste du GNA.
Forts de ses soutiens médiatiques internationaux, surtout ceux d’Al Jazeera, le GNA multiplie les effets d’annonce et de propagande à propos des attaques sur Tripoli supposément « repoussées avec succès » et de quelques troupes de Haftar capturées. La terminologie que la chaîne qatarie emploie dans le traitement de l’actualité libyenne ne fait aucun doute sur son orientation, lorsqu’elle parle notamment de « général renégat ».
Cependant l’un des rares reportages de terrain, effectué par une envoyée spéciale de Sky News, dont le siège social de la version arabe Sky News Arabia se trouve à Abou Dhabi aux Émirats arabes unis, montre une réalité beaucoup plus nuancée : la nuit du 16 au 17 avril avait en effet constitué un tournant, avec la tombée des premiers tirs de mortiers sur les quartiers résidentiels du centre-ville de Tripoli, et l’abandon par le GNA de plusieurs positions de défense face à l’artillerie des troupes de Haftar, qualifiée de « plus lourde et sophistiquée » par la journaliste de Sky News.
Les puissances mondiales et régionales se positionnent
Dans cette « guerre des axes » géopolitiques, soutenant quasi officiellement auprès de l’Arabie Saoudite, des Emirats, et de l’Egypte l’offensive de Haftar, la Russie n’est pas en reste avec son bras médiatique Russia Today. Ainsi les plateaux RT France consacrés à la situation libyenne sont quotidiens. Des analyses sans langue de bois y évoquent « les milices des Frères musulmans et ex al-Qaïda, soutenues essentiellement par la Turquie et le Qatar » pour parler des forces du GNA.
On y explique aussi la source de l’ambiguïté respectivement des positions italienne et française, Rome ayant conclu dans un passé proche des accords sur les migrants avec Tripoli, et le président Macron, présenté comme « un moraliste », étant dans l’obligation de concilier ses propres convictions avec celles de son très pragmatique ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Ce dernier aurait conscience des rapports de force en faveur de Haftar et du tournant de septembre 2016 où les forces de Haftar avaient pris le contrôle du croissant pétrolier libyen. Il y a quelques mois encore, la France apportait un soutien logistique au maréchal Haftar, conseillé dans ses offensives anti groupes islamistes extrêmes par des officiers des forces spéciales françaises.
Le 19 avril, un soutien de taille est enfin venu consolider l’axe pro Haftar : les Etats-Unis ont ainsi clarifié leur position via Donald Trump qui a « reconnu le rôle significatif du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de Libye ».
Le lendemain, le 20 avril, le bureau tunisien de l’agence de presse turque Anadolu relayait l’annulation d’une conférence de presse prévue à Tunis d'un ministre libyen pro-Haftar. Visiblement soucieux de ménager ses alliés d’Ennahdha, le gouvernement Chahed semble temporiser tout en étant dans l’embarras d’une situation complexe, entre la tentation du soutien à demi-mot de la légalité onusienne, et le constat du déséquilibre des forces en présence.
Si l’« offensive éclair » annoncée par Haftar n’a pas eu lieu, la situation chaotique sur le terrain laisse assurément présager d’une guérilla urbaine de longue haleine.
>> Lire aussi : A Tunis, les premiers effets de l’assaut de Haftar sur Tripoli se font sentir