Lettre ouverte au Président Vladimir Poutine par Christian Mégrelis
Cher Vladimir Vladimirovitch,
Voilà trente ans que nous nous sommes rencontrés pour la première fois à la mairie de Léningrad, fraîchement rebaptisée Saint-Pétersbourg. Vous développiez un Comité international pour la renaissance de Saint-Pétersbourg et m’aviez aimablement proposé d’y participer. Votre premier adhérent était le Prix Nobel d’économie Wassily Leontief, personnalité hors du commun, que j’ai donc connu grâce à vous. Nous avons évidemment discuté de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev dont j’assurais la promotion en Europe, et de l’avenir de l’Union soviétique qui vivait ses derniers mois. Les élections des maires de Moscou et de Saint-Pétersbourg au scrutin libre étaient une bonne perspective pour l’établissement de la démocratie en URSS.
Ce premier contact m’est revenu à l’esprit en cette période de guerre européenne qui a été comme un cavalier de l’Apocalypse surgissant dans la paix générale. Je n’ai aucune compétence pour savoir qui a raison et qui a tort dans la vieille querelle entre la Russie et l’Ukraine qui traîne depuis 30 ans. L’épisode de la Crimée m’a paru secondaire puisque cette péninsule, célèbre depuis la plus haute antiquité, a été conquise par la Russie sur la Turquie et que sa donation à l’Ukraine date de 60 ans et s’est faite sans consultation de la population de Crimée. Les territoires russophones d’Ukraine que je connais bien s’accommodaient de la tutelle ukrainienne mais les choses ont changé.
Bref, ce qui me préoccupe est l’avenir de deux peuples que je connais bien et que j’aime beaucoup : les Russes et les Ukrainiens. Chez aucun de mes amis des deux côtés de ce qui était voici encore une semaine une frontière je ne décèle la moindre animosité. Par contre, je constate une désespérance universelle et la certitude qu’il n’y aura, au bout de cette aventure militaire, que des pleurs et des grincements de dents dont la Terre entière vous tiendra pour responsable.
A nos âges, Vladimir Vladimirovitch, vous, maître du monde et moi heureux grand-père, que pouvons-nous espérer d’autre que de laisser un bon souvenir ? Voilà un langage que j’ai tenu à d’autres chefs d’Etat. Certains ne l’ont pas écouté et sont morts en le regrettant. J’espère que vous y penserez au milieu des mille difficultés que vous rencontrez à chaque instant.
Après la renaissance de Saint-Pétersbourg qui nous a réunis, il faut aujourd’hui penser à la renaissance de la Russie qui va être le chantier du siècle pour lequel la planète entière est prête à participer dès que les troubles en Ukraine seront apaisés. J’espère vivement que, comme tous les Russes, vous y pensez.
Veuillez agréer, cher Président, l’expression de ma haute considération.
Christian Mégrelis, auteur de « Le naufrage de l’Union soviétique : choses vues ».