Les pénuries en céréales, toile de fond de la visite de Lavrov en Tunisie

 Les pénuries en céréales, toile de fond de la visite de Lavrov en Tunisie

Rarement on aura vu atmosphère plus détendue que lors de la visite de travail effectuée par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, les 20 et 21 décembre 2023 en Tunisie, sur invitation de son homologue, Nabil Ammar. C’est que le rapprochement affiché entre les deux pays va désormais bien au-delà des considérations strictement d’ordre économique. Décryptage.

 

Lavrov est arrivé à Tunis quelques heures après sa participation au Maroc à la sixième édition du Forum de Coopération Russie-Monde Arabe à Marrakech.

L’ambiance était aux grands sourires cordiaux jeudi, et même aux « private jokes » entre le chef de la diplomatie russe, venu auréolé de ce que le Kremlin considère dorénavant comme sa victoire dans sa guerre contre l’Ukraine, et le président Kais Saïed qui, à l’instar de son homologue algérien, appelle de ses vœux depuis plusieurs mois un virage géopolitique pour se tourner vers des alliés orientaux au détriment des traditionnels partenaires occidentaux de la Tunisie, implicitement accusés notamment de néocolonialisme par le biais du FMI.

« Il est trop tôt pour parler de cet axe souverainiste fantasmé Moscou – Tunis – Alger au moment où Carthage accepte encore des dons de l’UE, à l’image de celui d’hier de 150 millions, pour rester sous perfusion européenne », tempère cependant l’opposition tunisienne.

D’ailleurs aussitôt arrivé aujourd’hui à Moscou, Sergueï Lavrov a lui-même relativisé le caractère de défiance anti occidentale de cette visite en rappelant aux journalistes en conférence de presse que sa tournée nord-africaine ne visait pas spécialement la Tunisie.

Quoi qu’il en soit, pour le département tunsien des Affaires étrangères, cette visite « intervient dans l’objectif de renforcer les concertations politiques et la coopération économique entre les deux pays ».

Plus concrètement, dans le cadre des efforts entrepris par les deux pays pour consolider les relations de coopération, une commission mixte tuniso-russe a été créée. Mais celle-ci avait tenu sa dernière session du 24 au 26 avril 2019, à Tunis, avant même l’arrivée au pouvoir de Kais Saïed. La prochaine session, la huitième en date, devrait ainsi avoir lieu en 2024, en Russie cette fois.

En chiffres, le volume des importations tunisiennes en provenance de Russie durant les dix premiers mois de l’année 2023 a augmenté de 67,3% en comparaison avec l’année 2022. Moscou entend ainsi en partie apporter une forme de dédommagement au pays qui subit de plein fouet la guerre russo-ukrainienne.

Les principaux produits importés de Russie restent le pétrole brut, le gaz naturel liquéfié, les céréales et les engrais, tandis que les principaux produits exportés vers la Russie sont les fruits et légumes, les produits manufacturés et les produits agricoles. Par ailleurs, la Tunisie a accueilli, jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023, quelques 21.506 touristes russes, selon les chiffres de l’Office national du tourisme.

 

La Russie se dit « prête » à fournir davantage de céréales à la Tunisie

Précaution oratoire ou non, la Russie est néanmoins seulement « prête » et disposée en théorie à fournir davantage de céréales à la Tunisie qui doit importer quasiment tous ses besoins cette année en raison d’une grave sécheresse de surcroît, a indiqué jeudi le chef de la diplomatie russe jeudi.

« Il existe un intérêt pour l’augmentation des livraisons de nos céréales. Nous sommes prêts à le faire », a rassuré Lavrov devant les médias russes qui l’accompagnaient.

Précisant en avoir discuté avec le président tunisien Kais Saied dans la matinée, il a rappelé que la Russie a bénéficié « pour la troisième année consécutive » de bonnes récoltes, sans pour autant apporter d’indications précises sur l’octroi éventuel de tarifs préférentiels à la Tunisie.

Pour rappel, cet été le président russe Vladimir Poutine avait annoncé la livraison de céréales gratuites à six pays africains (Mali, Burkina Faso, Centrafrique, Erythrée, Zimbabwe, Somalie), au moment où Moscou cherche à accroître son influence en Afrique. Après quatre ans de stress hydrique et une saison 2023 catastrophique, la Tunisie va devoir importer la totalité de ses besoins en blé dur, blé tendre et orge jusqu’au printemps 2024. Or, très endetté, le pays manque de liquidités pour financer ces importations, ce qui entraîne des pénuries régulières de farine en cascade.

Le diplomate russe qui n’était pas venu en Tunisie depuis 2019 a assuré que Moscou n’entendait pas toutefois supplanter les autres partenaires de la Tunisie, dans une allusion aux Etats-Unis et à l’Europe. « La Russie ne cherche jamais à nouer des amitiés contre quelqu’un d’autre. Devenir ami avec quelqu’un, en opposition à un autre, est une manière de faire caractéristique de nos collègues occidentaux », a-t-il tempéré, au moment où le Kremlin cherche à abaisser les tensions régionales suite à ce qu’il appelle le triomphe de son « opération spéciale en Ukraine ».