Les maths, porte d’entrée des Marocains

 Les maths, porte d’entrée des Marocains

Un tiers des ministres du Maroc sont passés par les grandes écoles d’ingénieurs. Ici, les élèves de Polytechnique défilent sur les Champs Elysées à Paris. Lionel BONAVENTURE / AFP

Alors que l’entre-deux tours de la présidentielle est marquée par un discours réactionnaire et anti-immigrés de la candidate d’extrême droite, retour sur l’apport des migrants avec notamment les Marocains qui brillent en mathématiques dans les grandes écoles françaises.

Titulaire d’un bac dans un lycée public de Meknès, Mohamed Boumediane obtient un 20 sur 20 à son premier examen blanc en France. Sa professeure le convoque alors pour repasser le test dans son bureau. L’actuel patron du leader européen en cybersécurité Ziwit renouvelle l’exploit. « J’ai toujours vécu les mathématiques comme un jeu. Les bouquins d’exercices n’étaient pas une corvée mais un vrai plaisir. La formation marocaine, assez dense, est d’un très bon niveau. »

Excellence des lycées français

Les maths, porte d’entrée des Marocains
Mohamed Boumediane, patron du leader européen de la cybersécurité Ziwit, a toujours « vécu les mathématiques comme un jeu ».

Par ailleurs, l’enseignement du français, prérequis nécessaire pour poursuivre ses études en France, est très répandu au Maroc. De plus, le Royaume bénéficie d’un réseau scolaire français très développé. C’est donc tout naturellement que les jeunes Marocains sont devenus la première communauté d’étudiants étrangers en France (40 000 sur 370 000).

L’ingénieur Jaafar Elalamy, 27 ans, directeur technique d’Adriver, une startup spécialisée dans la publicité mobile, est un ancien élève du lycée français Victor-Hugo à Marrakech. « Quand j’ai intégré ma prépa en France, je me suis rendu compte que j’avais déjà abordé le programme (loi de Morgan, lois logiques…). Les professeurs des lycées français sont sélectionnés pour leur excellence. On attend d’eux des prestations bien plus élevées qu’en métropole. »

Et les résultats sont là ! Comme Jaafar Elalamy, reconnu parmi les 30 personnalités de moins de 30 ans qui ont impacté l’année 2020 en entrepreneuriat-innovation par le magazine Forbes France, les prix et reconnaissances s’accumulent pour les habitants du Royaume : prix de l’Académie des Sciences de New York pour Ouahib Timoulali, médaille de bronze aux Olympiades internationales d’informatique pour Mohamed El Khatri, prix Pierskalla, qui récompense l’excellence de la recherche dans le domaine de la science de la gestion des soins de santé, pour les anciens centraliens Omar Skali Lami et Hamza Tazi Bouardi.

La motivation en plus

Fondateur de la startup Yogosha, spécialisée dans la détection de vulnérabilités des sites internet, Yassir Kazar constate que « le métier d’ingénieur est la voie royale pour les familles modestes afin d’accéder aux postes clés des entreprises et des administrations. Il existe une vraie culture des maths au Maroc comme ascenseur social. »

L’ingénieur et ancien président de l’association des Informaticiens marocains en France (AIMAF), Younès Bennai l’explique par le modèle éducatif. « Derrière cette volonté, il y a le passif et l’héritage colonial. Le système des prépas et concours d’écoles d’ingénieurs est très français. Cela n’existe pas ailleurs. »

Jaafar Elalamy abonde dans son sens : « Les parents poussent leurs enfants à se ruer dans cette voie. Le côté négatif, c’est que cela se fait au détriment de la culture générale qui est souvent délaissée. »

Ce bon niveau en mathématiques a aussi des conséquences bénéfiques sur la question du genre. Selon une étude de l’Unesco en février 2021, on compte quatre femmes sur dix au Maroc parmi les ingénieurs contre deux sur dix en France !

Têtes bien faites

En France, le métier d’ingénieur fait rêver avec le plein-emploi assuré, un salaire médian deux fois supérieur aux autres salariés et des nouveaux domaines de recherche. Le secteur devrait embaucher 50 000 personnes par an. Pour les Marocains, c’est une possibilité de quitter le Royaume. « Toutes les promotions de sciences et maths souhaitent partir en France, raconte le professeur Mouhsine Lakhdissi. Un tiers des ministres sont des centraliens ou des polytechniciens. C’est aussi le rêve de quitter le pays. »

Yassir Kazar l’explique par la détermination tenace de ses étudiants à réussir, même sans moyens. « Ce petit « supplément d’âme » leur permet d’entreprendre cette trajectoire migratoire. Si en plus, ils sont bons dans d’autres matières, ils arrivent très vite à s’adapter. »

Toutefois, cette fuite des meilleurs cerveaux marocains (près de 600 en 2019 selon le ministre de l’Enseignement) empêche le Royaume de se développer dans les nouvelles technologies ou de travailler sur la recherche fondamentale. « Le niveau est très bon dans les universités, confirme Mohamed Boumediane qui a enseigné à Rabat. C’est après que cela coince. Quand on s’attaque à la physique quantique, par exemple, il n’y a pas de laboratoire au Maroc. » 

 

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