Les massacres de Sétif, l’autre 8 mai 1945
Il y a 79 ans jour pour jour, le 8 mai 1945, tandis que la France et ses alliés célèbrent avec fierté leur liberté marquant la fin du nazisme, d’autres en sont privés. De l’autre côté de la Méditerranée, dans une Algérie française, un rassemblement pacifiste est organisé à Sétif, une ville du Constantinois, située à 300km à l’est d’Alger…
La manifestation est autorisée sous certaines conditions : les slogans politiques sont proscrits et le drapeau algérien y est interdit ! Le cortège se dirige vers le quartier européen portant des pancartes : « Nous voulons être vos égaux », « Libérez Messali ». Les manifestants réclament la fin du colonialisme, et la libération de Messali Hadj, un leader nationaliste, arrêté quelques semaines plus tôt.
Le rassemblement tourne à la tragédie quand Saâl Bouzid, un scout âgé de 22 ans, est assassiné par un commissaire de police parce qu’il arbore un drapeau algérien. La manifestation est durement réprimée par le sang par l’armée française : des manifestants sont arrêtés, torturés et exécutés sommairement. Le bilan est très lourd : certains historiens parlent de 45 000 morts. Une centaine d’Européens seront également tués.
Le mouvement de protestation de la rue algérienne s’étend ensuite dans les villages des alentours, notamment à Guelma et Kherrata. Il va durer jusqu’en septembre 1945.
Pendant plusieurs mois, toutes les forces françaises sont alors déployées : la police, la gendarmerie, l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine mais aussi de nombreuses milices composées de civils d’origine européenne. Tous ont pour but de rétablir l’ordre colonial et défendre l’Algérie française.
A l’époque, la France tente de minimiser le nombre de victimes : à peine 1000 morts selon l’ancienne puissance coloniale. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, marquent les prémices de la guerre d’Algérie, qui démarrera neuf ans plus tard, le 1er novembre 1954. Des massacres passés sous silence par la France.
Jusqu’en 2005 où une première reconnaissance est formulée par l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, qui évoque alors une « tragédie inexcusable ». Son successeur, Bernard Bajolet condamne à son tour, en 2008, ces massacres, évoquant la « très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de folie meurtrière », ajoutant que « le temps de la dénégation est terminé ».
En avril 2015, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire, Jean-Marc Todeschini, se déplace à Sétif pour, soixante-dix ans après, commémorer les faits. Une première pour un responsable français. Le déplacement de M. Todeschini à Sétif entre dans le cadre de la politique mémorielle annoncée par François Hollande.
Devant le Parlement algérien, en décembre 2012, le chef de l’Etat français dénonce la colonisation, « un système profondément injuste et brutal » et reconnait « les souffrances […] infligées au peuple algérien », dont les massacres de Sétif, Guelma et Kheratta. « Le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles », concluait alors le président.
Emmanuel Macron, premier président français à être né après l’indépendance de l’Algérie, a commencé en septembre 2018 par reconnaître, « au nom de la République française », que Maurice Audin, mathématicien membre du Parti communiste algérien (PCA) disparu le 11 juin 1957, avait été « torturé puis exécuté ou torturé à mort » par des militaires français, un drame « rendu possible par un système légalement institué ».
Mardi 2 mars 2021, il a confirmé l’aveu du général Aussaresses qui, dans ses mémoires en 2001 avait déclaré que le militant nationaliste et avocat Ali Boumendjel avait été torturé puis assassiné, ainsi que Larbi Ben M’hidi, autre leader de la Révolution algérienne.
Le prochain « geste » du président Macron sera-t-il celui de la reconnaissance solennelle des massacres de Sétif et de Guelma, amorcée par ses prédécesseurs ?