Les islamistes et la Palestine : Mohammed VI recadre le PJD

 Les islamistes et la Palestine : Mohammed VI recadre le PJD

Abdelilah Benkirane – FADEL SENNA / AFP

L’humiliation est spectaculaire : la réaction du Palais aux rodomontades du secrétariat général du Parti Justice et Développement (PJD) concernant la question palestinienne a au moins le mérite de rappeler que la normalisation du royaume avec l’Etat hébreu ne signifie nullement la mise sous séquestre des droits des Palestiniens à vivre dignement sur un territoire qui leur appartient.

C’est en cela que le communiqué publié par le palais royal insiste sur la dénonciation vive « des déclarations contenant des dépassements irresponsables et des approximations dangereuses, concernant les relations entre le Royaume du Maroc et l’Etat d’Israël, en lien avec les derniers développements dans les territoires palestiniens occupés ». A cet égard, le cabinet royal met ainsi à plat la position du Maroc envers la question palestinienne qui est irréversible, « une position de principe constante du Maroc, qui ne saurait être soumise aux surenchères politiciennes et aux campagnes électorales étriquées ».

La mise au point du cabinet royal a remis les pendules à l’heure en précisant que « les relations internationales du Royaume ne peuvent être l’objet de chantage de la part de quiconque et pour quelque considération que ce soit, particulièrement dans ce contexte mondial complexe. L’instrumentalisation de la politique extérieure du Royaume dans un agenda partisan interne constitue ainsi un précédent dangereux et inacceptable » !

Pourquoi ce recadrage au ton énergique ? Il faut rappeler que le 4 mars dernier, le PJD avait tiré à boulets rouges sur le ministre des Affaires étrangères en exprimant sa « désapprobation » des récentes prises de position du chef de la diplomatie qui « défend l’entité sioniste dans certaines réunions africaines et européennes, au moment où l’occupation israélienne poursuit son agression criminelle contre les frères palestiniens ».

« Le Secrétariat général a rappelé la position nationale qui considère que la cause palestinienne est au même niveau que notre cause nationale, et que le devoir juridique, historique et humanitaire exige de redoubler d’efforts dans cette étape délicate de la défense de la Palestine et d’Al Qods face à la l’escalade des provocations et des comportements agressifs des sionistes et à condamner le terrorisme sioniste qui ne s’arrête pas », avait martelé les camarades de Abdelilah Benkirane.

C’est pourtant le même Benkirane (ancien chef du gouvernement marocain) qui avait pris la défense de Saad-Eddine El Othmani qui pilotait l’exécutif, ce 22 décembre 2020 à Rabat, quand il avait signé, en présence du roi, la Déclaration tripartite entre le Maroc, Israël et les Etats-Unis. « Être dans l’exécutif signifie que l’on fait partie de l’État. C’est la lecture qu’il faut faire des évènements », avait-il alors justifié. Mais depuis ce fameux novembre 2021, quand les électeurs avaient puni les islamistes en les renvoyant dans les bancs de l’opposition, le PJD avait retrouvé ses diatribes d’antan contre Israël.

Résultat, Benkirane a multiplié les sorties, aux visées partisanes où le patron des islamistes s’est posé en défenseur, notamment des droits des Palestiniens. Il faut juste savoir qu’après la bérézina des dernières législatives qui ont mis les islamistes à la porte, le PJD qui a définitivement mis de côté ses rêves de réconciliation nationale avec les autres partis politiques, tente aujourd’hui de se présenter comme la meilleure alternative au RNI, qui pilote le gouvernement et contrôle aussi la Chambre des représentants.

En faisant un calcul purement politique, au niveau national, quitte à piétiner la démocratie et le droit des Marocains à avoir une opinion qui n’épouse pas forcément celle des délires salafistes, Benkirane a aussi pris un autre risque, estiment ses critiques : il offre à ses adversaires politiques une victoire majeure, leur ouvrant d’autres horizons pour achever un PJD déjà bien moribond. Et ce, en sachant que  ce n’est pas la première fois que le palais met en garde les salafistes contre une bataille politique dommageable pour l’avenir des islamistes dans la configuration politique du pays.

Depuis longtemps, les islamistes ont toujours voulu manipuler la question palestinienne pour en faire un choc entre deux visions de la société marocaine, deux conceptions sur une valeur essentielle (à savoir la défense, toujours et à jamais de la cause palestinienne) qui se décline en deux positions, celle d’une majorité de Marocains qui pensent qu’aujourd’hui, le seul interlocuteur capable de peser sur un avenir apaisé entre juifs et Palestiniens est bien Israël et une minorité qui croit encore en une guerre israélo-arabe qui bouterait les juifs hors de la terre sacrée. Le camouflet du roi au PJD a l’avantage de couper l’herbe sous les pieds de cette rhétorique focalisée sur la question palestinienne des lieutenants de Benkirane qui ont surfé jusqu’à présent sur le thème de la justice sociale sans mobiliser grand monde.

Résultat, la position traditionnelle, presque caricaturale, des islamistes, à l’antisémitisme notoire dans un contexte de polarisation sévère, semble restreindre l’espace pour des négociations constructives, en vue d’un compromis, pour la création de deux Etats qui se respectent, un Etat Palestinien et un Etat israélien, vivant en paix, ensemble ou séparés. C’est l’approche que défend Mohammed VI, en somme une vision réaliste et applicable, au nom de l’efficacité et non par considération idéologique. Sachant bien que le souverain chérifien, président du Comité Al-Qods, saisit mieux que quiconque que la pression considérable subie par les chefs d’Etat pour soutenir la cause palestinienne trouve un écho auprès de millions d’arabes et de musulmans dans le monde.