« Les Français sont prêts à regarder droit dans les yeux leur passé », Simon Moutaïrou, réalisateur de « Ni Chaînes Ni Maîtres »

 « Les Français sont prêts à regarder droit dans les yeux leur passé », Simon Moutaïrou, réalisateur de « Ni Chaînes Ni Maîtres »

Après avoir longtemps contribué aux projets des autres en tant que scénariste (« Boîte Noire » et « Goliath »), Simon Moutaïrou fait ses débuts en tant que réalisateur. Et il a bien fait !

 

Son film, Ni Chaînes Ni Maîtres, premier long-métrage français entièrement consacré à l’esclavage et au marronnage (NDLR : fuite d’esclaves de la propriété du maître), se distingue nettement de ce que l’on a l’habitude de voir dans le cinéma français.

Ce film s’inscrit dans la lignée des grandes productions américaines qui osent aborder de front l’horreur de l’esclavage. Comme ces œuvres venues d’outre-Atlantique, la réalisation est irréprochable. On ne s’ennuie pas une seule seconde.

Résumé du film : 1759, sur l’Isle de France, actuelle Île Maurice. Massamba et Mati, esclaves sur la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et l’oppression. Lui, rêve de voir sa fille affranchie, elle, de fuir l’enfer vert de la canne à sucre.

Une nuit, Mati s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la retrouver. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour, devenant ainsi un « marron », un fugitif brisant définitivement les chaînes de l’ordre colonial.

Ni Chaînes Ni Maîtres sort le 18 septembre. À voir absolument.

« Les Français sont prêts à regarder droit dans les yeux leur passé », Simon Moutaïrou, réalisateur de « Ni Chaînes Ni Maîtres »
(De gauche à droite) Les acteurs français Ibrahima Mbay, Benoît Magimel, également membre du jury, le réalisateur français Simon Moutairou et l’actrice française Anna Diakhere Thiandoum posent lors d’un photocall pour le film « Ni chaînes ni maîtres » dans le cadre de la 50ème édition du festival du film américain de Deauville, le 8 septembre 2024.

Dans votre film, chose rare dans le cinéma français, la brutalité de l’esclavage est montrée sans concession…

Oui, et c’est pleinement assumé. Il y a eu quelques films français qui ont osé représenter frontalement les horreurs de l’esclavage, mais ils étaient souvent confidentiels, avec une diffusion limitée. Je trouve intéressant de citer le cinéma américain, qui a beaucoup moins de complexes à aborder ces sujets sensibles. Aux États-Unis, il existe une multitude de films qui traitent de l’esclavage, mais aussi de la guerre du Vietnam, d’Irak, etc. Les Américains n’hésitent pas à affronter leur passé. En France, c’est plus compliqué.

Mais vous vous êtes quand même lancé dans cette aventure…

Oui, car pour moi, ce film était une nécessité. Et puis, les temps ont changé. Il y a quinze ans, un tel projet aurait été très difficile à monter et à montrer. Je fais partie, avec des réalisateurs comme Mati Diop ou Ladj Ly, d’une génération qui a atteint sa maturité. Je suis convaincu que les Français sont prêts à affronter leur passé, sans détour.

Pourquoi avoir décidé de passer de scénariste à réalisateur ?

Mon expérience de scénariste m’a beaucoup appris. J’ai également assisté aux tournages des films auxquels j’ai collaboré, et parfois même aux montages, ce qui m’a donné une vision complète de la fabrication d’un film. Pour Ni Chaînes Ni Maîtres, le sujet me tenait trop à cœur pour que je laisse quelqu’un d’autre le réaliser à ma place.

Comment vous est venue l’idée de ce film ?

Un peu par hasard, grâce à une rencontre. En 2009, alors que je me trouvais à l’île Maurice, une vieille dame m’a raconté l’histoire des marrons de l’île, ces hommes et ces femmes qui ont eu le courage insensé de s’enfuir des plantations. De briser leurs chaînes. J’ai tout de suite compris qu’il y avait là la matière pour un film extraordinaire.

Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de le réaliser ?

D’abord, je voulais être à la hauteur du sujet. J’ai effectué un gros travail de recherche historique pour coller au plus près de la réalité, même si cela reste une fiction. Ce film a été ciselé dans l’ombre pendant longtemps. Ensuite, il me fallait la force de frappe nécessaire pour convaincre les décideurs. Après les succès de Boîte Noire et Goliath, c’est devenu plus facile.

Le casting est impressionnant. Comment avez-vous choisi les acteurs ?

Le casting a été l’une des étapes les plus agréables. Le choix des acteurs s’est imposé de façon évidente. Ibrahima Mbaye, qui incarne Massamba, m’a immédiatement frappé lors de notre rencontre à Dakar. J’ai su dès les premières minutes qu’il était le bon.

On n’a pas l’habitude de voir Camille Cottin dans ce genre de rôle…

Effectivement, les acteurs américains aiment souvent jouer des anti-héros, tandis qu’en France, c’est plus rare. Camille Cottin, qui est très engagée, a tout de suite accepté le rôle de Madame La Victoire. Elle voulait incarner l’ambiguïté de ce personnage, ses dilemmes et ses contradictions, qui reflètent bien les nuances de l’époque. Madame La Victoire incarne la banalité du mal.

 

Ni chaînes ni maîtres 

1h38, Drame, Historique

De Simon Moutaïrou

Avec Ibrahima Mbaye Tchie, Camille Cottin, Anna Thiandoum