Les directions d’entreprises françaises “trop blanches”

 Les directions d’entreprises françaises “trop blanches”

La progression des minorités visibles dans les entreprises n’est toujours pas au rendez-vous, quinze ans après la Charte de la diversité. Sigrid Olsson / AltoPress / PhotoAlto via AFP

Selon une récente étude, seulement 3,5% des dirigeants des 120 grandes entreprises françaises sont des personnes issues des minorités visibles. Une situation inquiétante qui interroge sur la place de la diversité ethnoculturelle en entreprise et sur la discrimination rampante qui n’a pas disparu.

On peut les compter sur les doigts d’une main. En effet, ils ne sont que quatre CEO (deux extra-européens, deux binationaux) issus de la diversité ethnoculturelle à diriger des grandes entreprises en France. Un constat accablant pour les entreprises d’un pays qui rayonne mondialement. En élargissant le spectre, on remarque que les conseils d’administration et les comités exécutifs (Comex) du SBF 120 (indice boursier regroupant 120 entreprises françaises) ne sont pas en reste.

3,5% des directeurs ou PDG sont issus des minorités visibles

En effet, seulement 6% des directeurs ou présidents-directeurs généraux sont issus de minorités visibles. Si on exclut les personnes de nationalité extra-européenne, ce chiffre tombe à 3,5% ! Pourtant, la charte de la diversité en 2004 présageait une meilleure représentation de la diversité française dans ses dimensions sociales, ethniques et culturelles au sein des entreprises.

Quinze ans après, Mozaïk RH, un cabinet de conseil en stratégie d’inclusion économique et Me and You Too qui lutte contre les discriminations au travail ont mené un état des lieux de la mixité ethnoculturelle en entreprise. Inédite, par sa méthodologie, l’étude qu’ils ont publié évite le piège de la statistique ethnique.

“Beaucoup d’entreprises pensent que l’on ne peut pas mesurer la mixité ethnoculturelle, indique Mariam Khattab, directrice générale de Mozaïk RH. C’est faux car il existe des outils pour le faire. Nous avons utilisé l’analyse visuelle et patronymique qui a déjà été utilisée par le CSA, par exemple. On a voulu aussi montrer que des moyens existent sans faire de la statistique ethnique. Nous n’avons fait aucune catégorisation. Notre étude n’est pas nominative et on peut avoir une photographie assez précise de la situation.”

En se basant sur les 3272 membres des comités exécutifs et conseils d’administration des entreprises du SBF 120, les résultats de l’étude sont édifiants.

L’Etat, cancre de la mixité ethnoculturelle

En fouillant dans les Comex, on découvre que la moitié des entreprises n’a aucune diversité ethnoculturelle. Ce chiffre monte même à 67%, si l’on retire les personnes de nationalité extra-européenne. Pire, dans les entreprises où l’Etat a une participation de plus de 10 % au capital ou possède au moins un siège d’administration, le chiffre des dirigeants se retrouve divisé par deux : 1,7% !

La progression des minorités visibles dans les entreprises n’est toujours pas au rendez-vous, quinze ans après la Charte de la diversité. L’un des blocages vient de la provenance des membres de ces Comex. Pour 50% d’entre eux, ils sont diplômés des 10 instituts les plus sélectifs (l’Ecole des ponts et chaussées, Polytechnique, HEC, etc..). Dans celles avec une participation de l’Etat, on s’approche des deux tiers (63 %).

Zéro pointé pour les produits et accessoires de luxe

Or, on observe que seulement 3,9 % des minorités visibles dans ces comités possèdent un diplôme d’une grande école prestigieuse. “La culture du diplôme existe en France mais elle n’explique pas tout, confirme Mariam Khattab. Il reste une bonne moitié des dirigeants des comités exécutifs et d’administration qui sont issus d’autres qualifications. Il existe un vivier diversifié qui existe et sur lequel les entreprises devraient s’appuyer.”

Dans le détail, les minorités ethnoculturelles sont mieux loties, aux alentours de 7 %, dans les comités exécutifs de l’industrie, l’informatique et les télécommunications, l’énergie et l’environnement. Un zéro pointé est à relever pour les produits et accessoires de luxe. Au sein des conseils d’administration, la part belle est faite aux 20 entreprises de l’industrie qui accorde 10,4 % de leurs places aux minorités visibles. Elles sont suivies par le transport (8,8%) et les services (6,4%).

“Des stéréotypes perdurent, précise la directrice générale de Mozaïk RH. L’émergence de profils existants dans les entreprises qui subissent le plafond de verre, peut aussi servir de modèle. Les chasseurs de têtes doivent aussi effectuer une mue pour diversifier les parcours et les recrutements à l’extérieur.”

L’un des meilleurs exemples de ce changement de paradigme est celui du groupe Solvay, au chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros. En 2019, l’entreprise a nommé en tant que PDG, la Franco-Marocaine Ilham Kadiri.

Les femmes des minorités visibles primées

Pour inverser la tendance de dirigeants d’entreprises “trop blancs et masculins”, le législateur tente depuis plusieurs années d’inciter les entreprises à la parité. Ainsi, le 20 janvier 2011, la loi Copé-Zimmermann a prévu des quotas de 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Elle sera ensuite complétée, le 24 décembre 2021, par la loi Rixain pour l’égalité professionnelle qui donne comme échéance 2030 aux entreprises.

Les femmes des minorités visibles ont pu ainsi bénéficier de cette approche de mixité. Ainsi, les profils féminins des minorités visibles grimpent à 34% contre 23% de femmes en moyenne dans les Comex. “Nous ne sommes pas forcément pour les quotas car nous pensons que cela ne suffira pas à transformer le problème, indique Mariam Khattab. En revanche, il faut se fixer des objectifs comme pour la question des femmes. L’Etat doit penser à un cadre normatif et inciter les entreprises à plus de transparence sur le côté ethnoculturel.”

« L’Etat doit faire mieux »

Pour Mozaïk RH et Me and You too, il convient pour les entreprises d’adopter une stratégie diversité et inclusion. En passant par des profils diversifiés, dégotés par des chasseurs de têtes, mais aussi la promotion en interne. Avec des outils pour mesurer la mixité ethnoculturelle, l’Etat devrait aussi impulser des actions plus importantes. Pour cela, il faudra développer de façon encore plus proactive, une politique volontariste pour la diversité.

“L’Etat doit faire mieux, indique la directrice générale de la société de conseil. C’est un mauvais élève. Cela devrait interpeller les pouvoirs publics sur la méritocratie et notre modèle républicain. Quand l’Etat discute de la gouvernance de ces entreprises, elle doit assumer de donner l’exemple.”

 

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