Edito. Les conflits de légitimité de la guerre en Ukraine
Dans une guerre, il existe rarement les gentils et les méchants, la situation et les causes sont souvent lointaines et complexes. Tentons donc d’en comprendre les raisons historiques, les situations de légitime défense, ainsi que les conflits de légitimité démocratique, juridique et militaire.
Par Thierry Brugvin, sociologue, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont Le pouvoir illégal des élites, Ed. Max Milo
Une action militaire consistant à tuer des personnes ou à pénétrer les frontières d’un autre pays, ne s’avère jamais légitime, sauf en cas de légitime défense et de respect du droit international. Par conséquent, la guerre de la Russie contre l’Ukraine n’est pas légitime et s’avère donc hautement condamnable, puisque la Russie, n’a pas obtenu l’accord légal du Conseil de sécurité de l’ONU, de mener une intervention armée pour défendre un objectif légitime, tel la défense de la souveraineté du Donbass.
Cependant, l’Occident et en particulier les États-Unis et la France ont aussi bombardé des dizaines de pays, depuis 1945 : Vietnam, Afghanistan, Irak, Lybie, Syrie, Mali, etc. Après la Seconde Guerre mondiale, de 1945 à 2022, les Etats-Unis ont bombardé plus d’une trentaine de pays, toujours au nom de la démocratie ! Amener la liberté par les bombes ! Alors qu’il s’agissait principalement de protéger leurs intérêts économiques et géopolitiques.
Voici quelques-uns des pays bombardés pour les « sauver » : Chine (1945-46), Corée et Chine (1950-1953), Congo (1954), Vietnman (1961-73), Lybie (1986), Chine (1950-53), Guatemala (1954), Indonésie (1958), Cuba (1959-60), Guatemala (1960), Congo (1964), Pérou (1965), Laos (1964-73), Vietnam (1961-73), Cambodge (1969-70), Guatemala (1967-69), Grenade (1983), Libye (1986), Salvador (1980), Nicaragua (1980), Panama (1989), Irak (1991-99 et 2003), Soudan (1998), Afghanistan (1998), Yougoslavie (1999), Yémen (2002), Irak (2003-2011), Pakistan (2007-2015), Somalie (2007-2011), Yémen (2009-2011), Syrie (2014-2015) … Mais si on ajoute toutes les guerres dans lesquelles les Etats-Unis étaient parties prenantes indirectement, par exemple en fournissant des armes, il y en a des centaines…
Durant ces guerres et ces bombardements, parfois les Etats-Unis et les pays occidentaux qui les ont soutenus étaient dans la légalité du droit international, en ayant obtenu l’accord du Conseil de sécurité. Mais souvent, les grandes puissances ont mené sans ces accords en trouvant des motifs généralement fallacieux de protection des civils, de la démocratie, de la liberté, de l’opprimé, de la stabilité… En réalité, il s’agissait prioritairement de sécuriser leurs ressources économiques et politiques. En réalité, la guerre s’avère généralement une continuation de la politique néocoloniale des grandes puissances, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie… Il en fut de même avec l’Allemagne, le Japon et l’Italie durant les deux guerres mondiales.
Défendre la volonté d’indépendance souveraine du Donbass est légitime. Mais pas forcément par la force. La guerre entre l’Ukraine et la Russie s’explique aussi par l’histoire de très anciennes rivalités. Nombreux sont les analystes qui cherchent les causes de la guerre dans l’histoire de l’Ukraine et de la Russie. La Rusʹ de Kiev a été fondée en 880 et c’est le territoire d’origine de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie. Ce territoire a été plusieurs fois conquis par différents peuples ensuite. Puis, dans les années 1770, la Russie a repris les anciens territoires d’Ukraine aux Tatars. L’Ukraine a ensuite progressivement retrouvé son indépendance, en récupérant territoire après territoire. Mais à partir de 1917, l’Ukraine est de nouveau sous l’emprise de la Russie avec la révolution soviétique de l’URSS. A cette époque, la région du Donbass et d’autres territoires qui étaient russes ont été redonnés à l’Ukraine, par le dirigeant de l’époque. Mais il y avait peu d’enjeu, car cela restait au sein de l’URSS. Puis, à la chute de l’URSS en 1989, Eltsine n’a pas récupéré ce territoire qui est alors resté en Ukraine. Or, en 1989, il y avait 45 % de la population qui était russe. En 1991, les citoyens du Donbass ont voté pour l’indépendance du Donbass à 83,9 % dans l’oblast de Donetsk et à 83,6 % dans l’oblast de Louhansk (1).
La guerre en Ukraine relève donc bien aussi d’une guerre de territoires entre des populations liées par des origines communes. Cependant, le problème fondamental concernant la région du Donbass, n’est pas à qui appartient historiquement ce territoire. Mais qui est souverain sur son territoire ? Or, en système démocratique, la légitimité devrait se fonder sur le libre choix des habitants d’un territoire à décider par eux-mêmes, de leur orientation et de leur avenir. Donc aussi de leurs alliances avec les Russes, l’Ukraine, l’OTAN ou autres, en ce qui concerne les habitants du Donbass. Par conséquent, quelles que soient les origines historiques, c’est aux habitants du Donbass de choisir, s’ils veulent être indépendants et de décider de leurs alliances. Il en est de même des Catalans en Espagne, des Irlandais en Grande-Bretagne, les Corses ou les Calédoniens en France… Mais généralement, même dans les nations dites démocratiques, les dirigeants des nations acceptent difficilement le choix des territoires qui réclament leur autonomie ou leur indépendance.
Par conséquent, la défense de la souveraineté démocratique et économique d’une région, telle le Donbass, semble plus légitime que la défense des frontières et du territoire d’une nation (telle l’Ukraine), en vertu du principe de souveraineté. Par conséquent, le Donbass dispose légitimement du droit à l’indépendance, donc à sortir de l’Ukraine ou de rejoindre la Russie, à l’issue d’un référendum au Donbass. Mais, malgré les accords de Minsk de 1994, le gouvernement de Kiev n’a pas tenu sa promesse de faire un référendum au Donbass.
Une action violente fondée sur la légitime défense s’avère légitime. De même une intervention militaire étrangère, pour défendre une population en danger physique parait légitime. Or, au Donbass, il y a des combats physiques et des bombes contre les civils du Donbass par le gouvernement ukrainien, depuis au moins 2014 (date des accords de Minsk) à cause de la volonté d’indépendance du Donbass. Cela a engendré la mort de plus de 8000 personnes russophones du Donbass, entre 2014 et 2021. Par conséquent, l’intervention militaire russe pour protéger les civils du Donbass est légitime sous cet aspect.
Il n’était pas légitime pour les Russes de conquérir l’ensemble de l’Ukraine. Cependant, au plan stratégique, pour défendre uniquement le Donbass, il est vrai qu’il était peut-être plus efficace pour les Russes d’annexer l’Ukraine, afin de limiter les attaques de Kiev contre le Donbass avant, pendant et après la guerre Russie-Ukraine. Or, c’était sans compter avec le soutien militaire massif de l’OTAN. Cette stratégie a donc échoué et les Russes se sont repliés sur le Donbass et l’Est de l’Ukraine, pour mener leurs offensives.
De plus, officiellement, la guerre en Ukraine débute le 24 février 2022 avec l’invasion russe. Or, non seulement, elle est l’aboutissement de 8 ans de conflits, mais en plus une semaine avant, le 17 février 2022, c’est l’Ukraine qui a relancé les hostilités en bombardant le Donbass (2). Les civils ont donc commencé à fuir vers l’intérieur du Donbass et vers la Russie. Cette dernière a donc réagi en envahissant l’Ukraine.
Compte tenu, que des milliers de soldats russes stationnaient à la frontière depuis quelques semaines, ces bombardements du gouvernement de Kiev ont été une provocation, une incitation volontaire pour le déclenchement de la guerre. Quel pouvait donc être l’intérêt du gouvernement de Kiev et de son président Zelensky de pousser la Russie à la guerre ?
Lorsqu’on se trouve face à un danger beaucoup trop puissant et dangereux pour nous, la sagesse nous conduit généralement à l’éviter, lorsque c’est possible. Compte tenu que les Ukrainiens se trouvaient face à la 2e armée du monde, n’aurait-il pas été plus sage qu’ils capitulent directement, plutôt que de subir d’énormes pertes humaines et matérielles et finalement, perdre quand même, comme c’est très probable ? Cela relève un peu du bon sens et de la sagesse.
L’OTAN cherche à exercer une pression contre la Russie et les nouveaux pays non-alignés, tels la Chine, ou certains pays d’Amérique du Sud. Pour l’OTAN menée par les Etats-Unis, la guerre en Ukraine s’avère donc une occasion d’affaiblir la Russie, à la fois militairement, politiquement et économiquement. Il semble donc que l’appui des Etats-Unis a conduit plus ou moins directement l’Ukraine à provoquer un peu la Russie, pour qu’elle déclenche les hostilités. De même, aider militairement les Ukrainiens à se protéger d’une attaque militaire relève aussi de la légitime défense. D’un autre côté, la victoire des Russes semblait un peu pliée d’avance, compte tenu de l’asymétrie des forces en présence.
Donc si le gouvernement ukrainien avait capitulé rapidement cela aurait épargné beaucoup de vies humaines et de destructions. Cependant, c’était sans compter avec l’énorme soutien en matériel militaire de l’OTAN. Or, sans celui-ci l’armée ukrainienne n’aurait sans doute pas tenu longtemps contre la seconde armée du monde. Mais, le soutien indéfectible des Etats-Unis a donc poussé le gouvernement ukrainien à prendre des risques et à lancer une nouvelle série de bombardements du Donbass, le 17 février 2022, poussant les Russes vers la guerre. Cette dernière implique indirectement, tant de nations, que c’est une nouvelle guerre mondiale, après celle du Moyen-Orient.
Point de vue. Dictature russe, résistance ukrainienne et détermination européenne
Poutine, le président russe fait la guerre pour protéger la Russie de l’expansion de l’OTAN à l’Est. Il utilise comme prétexte la défense de la souveraineté du Donbass. Cela pourrait être légitime, si cela n’était pas aussi un prétexte pour envahir en même temps l’Ukraine, ou du moins à l’annexer et la contrôler. Comme toutes les grandes puissances, la Russie cherche à « persévérer dans son être » dirait Spinoza. Elle n’a de cesse de chercher à accroitre sa puissance d’agir. Nietzsche parlerait de volonté de puissance. Au plan psychologique, il s’agit d’une volonté de pouvoir comme l’expliquait le psychanalyste Adler, fondé sur un complexe d’infériorité subconscient, c’est-à-dire la peur subconsciente d’être faible. De même, l’OTAN, les Etats-Unis et la France devraient donc cesser leur expansion vers les frontières de la Russie, pour éviter de faire monter la pression militaire.
Alors qu’est ce qui a poussé la fragile Ukraine à ne pas capituler face à la puissance de l’armée russe ? Peut-être l’égo, la fierté, la peur subconsciente d’être faible ou de ne pas s’estimer. Mais plus encore la pression de l’OTAN et son soutien militaire, qui instrumentalise l’Ukraine pour affaiblir la Russie. Puis, il y a aussi les marchands de canons et du bâtiment qui poussent à la guerre, puis à la reconstruction. Ainsi que les intérêts occidentaux consistant à affaiblir économiquement la Russie en limitant ses capacités à vendre ses marchandises, son gaz, son pétrole… Ce qui explique aussi que la guerre en Ukraine relève sans doute un peu de ces trois causes qui sont psychologiques, économiques et politiques.
Ce texte vise à présenter un panorama plus équilibré des responsabilités de chacun des protagonistes en conflit. Ce qui n’est pas toujours le cas dans certains médias. En conclusion, toutes les parties en conflit sont, en partie, en faute. C’est le cas de la Russie puisqu’elle attaque militairement des humains, les blesse, les tue et attaque l’Ukraine, une nation souveraine. Mais cette dernière et l’OTAN se révèlent aussi responsables de cette guerre, puisqu’ils ne respectent pas la volonté des citoyens du Donbass de décider par eux-mêmes de leur autonomie vis-à-vis de l’Ukraine. Et cela malgré les accords de Minsk pris entre l’OTAN, l’Ukraine, le Donbass et la Russie, il y a plusieurs années en 2014. De plus, depuis cette année-là, plus de 8000 de civils ont été tués au Donbass par le gouvernement d’Ukraine par ses forces militaires et miliciennes. Enfin, l’OTAN s’étend toujours plus vers l’Est mettant la Russie sous pression.
(1) DON HARRISON Doyle, Secession as an International Phenomenon : From America’s Civil War to Contemporary Separatist Movements, University of Georgia Press, 2010, 397 p.
(2) LE MONDE / AFP, Crise en Ukraine : des bombardements dans le Donbass ravivent les tensions et les inquiétudes sur une possible action militaire russe, 18 février 2022.
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