Marrakech. Les avocats et le foot, halal ou haram ?
De quoi est le nom cet appel au boycott d’une manifestation sportive au prétexte qu’un drapeau israélien flotterait auprès d’autres étendards à Marrakech ?
Si l’Ordre des avocats du Maroc a décidé de boycotter la Coupe du monde de football des avocats, (appelée Mundiavocat), qui se tiendra à Marrakech du 7 au 15 mai 2022, en raison de la participation d’équipes israéliennes, l’un des seuls barreaux qui ne suivra pas l’appel au boycott et sera présent à la manifestation est celui de Casablanca.
Ce que l’on peut retenir à première vue de cette mobilisation, c’est que les seuls médias à avoir vraiment relayé et largement commenté l’appel au boycott, ce sont les médias algériens d’un côté et ceux de l’Etat hébreu de l’autre, pour les premiers, l’occasion était trop belle pour ne pas ressortir cette vieille antienne d’un royaume, étroitement lié à l’Etat « sioniste » et pour les seconds, l’occasion de se poser en victimes d’une nouvelle cabale qui rappelle des sombres jours.
I24news rappelle les paroles de l’avocate Tami Ullman, présidente du barreau du district de Haïfa : « J’ai lu la lettre et je n’y crois pas. Nous revenons à une période sombre de l’histoire. Je suis choquée. C’est un défi pour le barreau et les joueurs de l’Association du Barreau. C’est honteux » !
Au passage, les avocats algériens se sont eux aussi positionnés pour le boycott contre « l’invitation d’équipes sionistes dans ce tournoi, qui peut être considérée comme une étape dans la normalisation avec l’entité sioniste. Seulement, cet acte serait contradictoire aux principes du gouvernement et du peuple algériens » (sic).
Cette tempête dans un verre d’eau serait passée inaperçue si les dessous de cette guéguerre ne cachait pas d’autres desseins que celui affiché de la noblesse de se solidariser avec les souffrances du peuple Palestinien.
Pour ceux qui ne le savent pas encore, certains ordres d’avocats sont infiltrés voire complètement noyautés par la mouvance Al Adl Wal Ihsane alors que les islamistes du PJD ne sont pas en reste dans la profession.
Pour les premiers, qui n’ont pas encore perdu l’espoir de renverser la monarchie pour introniser leur gourou dans « une Khilafa » hypothétique, tout ce qui peut servir à salir l’image du pouvoir est bon à prendre ; et pour les salafistes du Parti Justice et Démocratie, la pilule de la normalisation avec Israël immortalisée par la fameuse poignée de main entre Saad Eddine El Otmani et un haut responsable israélien n’est pas passée.
En effet, en 2020, Saad Eddine El Otmani, chef de gouvernement du Maroc à l’époque, avait paraphé la déclaration qui stipule que les parties se disent conscientes que « l’établissement de relations diplomatiques complètes, pacifiques et amicales entre le Maroc et Israël est dans l’intérêt commun des deux pays ».
Depuis, l’ex-chef de gouvernement ne fait plus l’unanimité au sein des militants du parti qui lui reprochent d’avoir « trahi » l’idéologie du parti dont l’un des piliers est l’opposition systématique « aux juifs », ennemis d’hier et de demain et la défense envers et contre tous de la Palestine.
Avec cette histoire de boycott, on retrouve les réflexes ataviques de la mouvance islamiste qui n’aime rien mieux que mettre en scène ses ennemis, le Makhzen d’un côté et les juifs de l’autre. Maintenant son objectif révolutionnaire (le califat), Al Adl Wal Ihsane table sur le temps pour voir cette Qawma, ce « grand soir » annoncée par Abdeslam Yassine avant sa mort et qui devait avoir lieu en 2006.
Malgré l’échec de cette « prévision », un changement de stratégie s’imposait, mais Abbadi et ses lieutenants, en bons héritiers du défunt gourou ne sont pas hommes à se remettre en question surtout quand les révisions s’avèrent plutôt déchirantes. Avec l’espoir que la prophétie auto-réalisatrice de l’ex-patron de la mouvance Justice et Spiritualité débouche sur une confrontation des blocs inédite entre le pouvoir et ses relais dans le camp des laïcs et autres modernistes, et celui de la majorité des Marocains attachés à la tradition et généralement mobilisés pour la défense de la cause palestinienne.
Cette posture affirmée ne doit rien au hasard : les adlistes et leurs alliés du PJD ont fait un constat doublé d’un pari : le constat de la faiblesse structurelle de leur militantisme, qui n’aurait pas les moyens de ses velléités conquérantes ; et le pari que le Makhzen n’utilisera pas l’arme de la répression pour ne pas paraître cautionner un Etat sioniste en plein regain de violence sur le parvis de la mosquée Al Aqsa.
Pourtant, le royaume a tout à gagner de la Coupe du monde de football des barreaux et sociétés d’avocats, un tournoi international dédié aux avocats du monde entier, un évènement à prendre pour ce qu’il est : une simple compétition sportive génératrice de dopamine pour les intéressés et d’argent pour la ville ocre.
Pour rappel, la première édition qui s’était déroulée à Marrakech avait réuni plus de 14 équipes dont on imagine bien les retombées économiques. Et pour l’image de marque du pays, il suffit de jeter un coup d’œil au cv des ténors du barreau américain, allemand ou Suisse pour comprendre que les Marocains ont tout à gagner de faciliter la tenue d’une compétition qui réunit les avocats de 37 pays dans le monde.
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