Le Qatar, médiateur de crise et acteur humanitaire régional
Le politologue et chercheur en relations internationales, Sébastien Boussois revient sur le rôle du Qatar en terme humanitaire dans les conflits du Proche-Orient.
Il y a quelques jours le Croissant Rouge qatari signait un accord de près de 4,5 milliards de dollars avec l’UNRWA, l’agence onusienne en charge des réfugiés palestiniens, pour venir en aide aux Gazaouis bloqués en Cisjordanie depuis le début de la guerre. C’est un exemple parmi tant d’autres d’interventions opérées par Doha afin de compenser les pertes et les dommages commis à l’encontre de la population palestinienne depuis le déclenchement de la riposte israélienne aux attaques du 7 octobre 2023.
Depuis le début de la guerre à Gaza, le Qatar joue un rôle majeur sur plusieurs fronts pour essayer avec les Etats-Unis et l’Égypte de mettre un terme à un conflit sanglant qui aurait fait déjà près de 40 000 victimes selon les seuls chiffes dont on dispose, ceux du Hamas. Il agit pour permettre diplomatiquement de parvenir à un cessez-le-feu d’une part entre les parties, mais également à la libération des otages israéliens comme à l’aboutissement d’un processus qui permette de préparer l’après-guerre.
Malheureusement, à ce jour, l’intransigeance d’un Benjamin Netanyahou, qui plutôt que faire aveu de responsabilité dans les massacres commis le 7 octobre par le Hamas contre la population israélienne, s’est acharné tête baissée à faire des civils palestiniens une cible de choix alors que le Hamas savait très bien que ce dernier s’en prendrait aux Gazaouis pour se venger. La stratégie du Hamas bien huilée, le premier Ministre israélien avait promis d’éradiquer le Hamas et d’épargner les populations civiles. Bien sûr, c’était impossible.
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Des morts et des blessés aussi
Il y a énormément de morts à Gaza mais aussi beaucoup de blessés. Le Qatar, à l’image de son action en Afghanistan au moment du désengagement occidental après la reprise de Kaboul par les Talibans, cherche à s’installer comme un médiateur de conflits régionaux mais aussi comme un acteur humanitaire incontournable. C’est dans cet objectif qu’il accueille aussi les blessés de Gaza par centaines, et en particulier des enfants. Comme le Qatar avait accueilli des milliers de réfugiés afghans en 2021, il prend en charge les enfants blessés à Gaza dans ce que l’on appelle « La cité des enfants blessés ». C’est en effet, dans un complexe initialement prévu pour la Coupe du Monde 2022, que Doha a installé son hôpital de campagne. Blessés, amputés, orphelins, ces enfants sont pris en charge et soignés avec du matériel de pointe. On leur fixe des prothèses pour essayer de retrouver un semblant de mobilité et d’autonomie.
C’est en périphérie de Doha que l’Emir du Qatar a souhaité accueillir ces blessés de guerre d’un genre particulier et qui nécessitent des soins très spécialisés. Le tout se fait en coordination avec un certain nombre d’organisations humanitaires à Doha et sur place à Gaza pour exfiltrer les enfants. La famille est prise en charge, logée, nourrie et blanchie et bénéficie d’une assistance psychologique. Ces personnes sont toutes victimes de stress post-traumatique, de dépression, et d’anxiété. La guerre que mène Netanyahou depuis le 7 octobre et les attaques du Hamas n’ont pas épargné les enfants. Ils sont avec les femmes les principales victimes d’un conflit qui ne voit pas la fin.
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Le Qatar devient médiateur de crise
Face au retrait américain depuis des années et une paralysie totale de la communauté internationale, Doha cherche, en réalité, à s’inscrire dans une stratégie à long terme de médiateur de crises internationales là où les grandes puissances occidentales et les Nations Unies se révèlent aujourd’hui impuissantes à prévenir, encore moins à guérir. C’est aussi pour le Qatar une assurance vie, et la volonté de réinscrire sa démarche dans le cadre du droit international et du droit humanitaire, situation de guerre ou non, et plus largement dans le cadre d’un multilatéralisme pris dans la débâcle depuis le mandat de Donald Trump à la Maison Blanche.
Toute l’agilité de la politique du Qatar et les bénéfices à tirer d’un tel engagement, résidera à l’avenir dans son pragmatisme, son recentrage au cœur des puissants, la préservation de sa relation avec les Etats-Unis, son rapport à la Chine, son crédit avec les puissances du Sud global et sa capacité à ménager des alliés stratégiques comme l’Iran et la Turquie. De plus, en défendant le multilatéralisme et le droit humanitaire, le Qatar tord en tout cas le cou à beaucoup d’idées reçue qui circulent à sujet. Face au déclin des intermédiaires traditionnels occidentaux, largement dépassés aujourd’hui en Afghanistan comme à Gaza, ou ailleurs en Afrique, et à la complexification des crises régionales, c’est aussi ça le rôle d’un médiateur local stratégique.