Le président Saïed se proclame chef suprême de « toutes » les forces armées
Taxé de juridisme par ses adversaires politiques qui lui reprochent une constante instrumentalisation des failles des textes de lois et des vices de procédure, le président de la République Kais Saïed poursuit sa fuite en avant dans ce sens en s’autoproclamant hier dimanche 18 avril comme étant désormais le chef suprême de l’ensemble des forces armées, y compris des forces de police.
Pour ce faire, le chef de l’Etat n’a pas dérogé à son habitude de détourner les cérémonies officielles afin de se livrer en marge de ses allocutions à de longues tirades consacrées à ses règlements de compte politiques. Il s’agissait en l’occurrence de la célébration du 65ème anniversaire de la création des forces de sécurité intérieure.
Tout juste auréolé de sa visite « réussie » de l’Egypte du Maréchal al-Sissi, le président tunisien se voit-il en futur autocrate, au nom de la guerre qu’il engage à son tour contre les islamistes ?
Mini coup d’Etat constitutionnel
A la manière d’un Mouammar Kadhafi en son temps ou d’autres leaders populistes qui aiment à surprendre leur auditoire par leur jeu scénique, Saïed a fait imprimer des passages des deux constitutions tunisiennes pour les brandir pendant son discours et appuyer ses interprétations de ces textes fondateurs. Des interprétations personnelles censées faire loi, en l’absence de création d’une Cour constitutionnelle à laquelle il s’oppose par ailleurs.
Ainsi pour Saïed, la Constitution de 1959 avait expressément stipulé que le président de la République tunisienne est « le chef suprême des forces militaires », tandis que la Constitution de 2014 omet le terme « militaire » au profit de l’expression plus générique de « forces armées ». Par conséquent, le président a lancé en direction de son auditoire dont Rached Ghannouchi et le chef du gouvernement Hichem Mechichi : « Que cela soit clair à compter d’aujourd’hui, le président est aussi le commandant en chef des forces armées, toutes les forces armées ! ».
Avant de conclure son discours particulièrement agité au cours duquel il a plusieurs fois tapé du poing sur la table, Saïed a également lancé un menaçant et énigmatique « Tout vient à point à qui sait attendre », appelant les forces armées au « respect de la loi contre les corrompus ».
La tension était tellement palpable que la cérémonie fut entachée par un faux pas de l’un des officiers décorés qui a renversé par mégarde le plateau des médaillons.
Réactions de la classe politique
Dans ce qui s’apparente à un geste symbolique de défiance, une fois de retour à la Kasbah, le chef du gouvernement Hichem Mechichi s’est empressé de se diriger vers le ministère de l’Intérieur (dont il a la charge par intérim) pour décorer à son tour des officiers promus, une façon sans doute de réaffirmer sa propre autorité sur les divers corps de police.
Si la Constitution de 2014 confère la charge de la Défense et de la politique étrangère au président de la République et en fait le chef du Conseil de sécurité nationale, elle limite d’un autre côté ses prérogatives par rapport à la première Constitution post indépendance, fait du régime politique un régime parlementaire mixte et non plus présidentiel, et octroie la majeure partie de l’appareil exécutif au chef du gouvernement, dont le ministère de l’Intérieur mis sous sa tutelle et non pas celle de Carthage.
Cet esprit de l’actuelle Constitution de la deuxième République tunisienne n’a pas échappé à de nombreuses personnalités politiques qui n’ont pas manqué de réagir face à ce qu’ils considèrent comme une dangereuse dérive du président Kais Saïed, un homme obnubilé par ces luttes de pouvoir au détriment de la crise sanitaire et économique dans laquelle se débat le pays.
« Nous assistons depuis peu, en direct, à un coup d’Etat, un putsch soft conduit par le président de la République, dont la première étape fut le sabotage du remaniement du gouvernement, puis l’opposition à la création de la Cour constitutionnelle, pour finir par l’auto-proclamation du leadership des forces armées à l’occasion de leur anniversaire.
Un coup d’Etat n’est pas nécessairement un acte militaire : selon le droit constitutionnel il s’agit en effet de tout acte autoritariste et illégitime ayant pour effet une atteinte aux corps constitués, leur déstabilisation ou une enfreinte à leurs prérogatives », écrit le juriste et opposant historique Ahmed Nejib Chebbi qui appelle la société civile à intervenir d’urgence en vue d’élections anticipées.