Le Parlement tunisien rejette un prêt de l’Agence française de développement

Hémicycle du Bardo mardi 7 avril 2025
En tournant le dos au FMI, la Tunisie a dû via l’Assemblée des représentants du peuple approuver pas moins de 25 accords de prêts durant l’année 2024, d’une valeur totale de 14,5 milliards de dinars, dont environ seulement 30% ont été alloués à l’investissement. Mais en cette première moitié de 2025, le refus hier 7 avril d’un prêt de l’AFD pourtant sollicité par la présidence de la République constitue un camouflet inédit pour le Palais, signe qu’il s’agit probablement d’un prêt de trop.
Examiné à la demande de Carthage, l’Assemblée des représentants du peuple a entamé la discussion du projet d’accord de prêt entre la Tunisie et l’Agence Française de Développement (AFD). Ce prêt, d’un montant de 80 millions d’euros, visait à créer une ligne de financement pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) tunisiennes dans le cadre de la relance économique post-Covid. Le remboursement de ce prêt était prévu sur 20 ans, avec une confortable période de grâce de 5 ans.
Toutefois, les députés opposés au prêt en question dénoncent plusieurs écueils : pour eux, le dispositif, bien que présentant certains atouts dont un taux d’intérêt à 3,10%, il soulève des questions fondamentales quant aux conditions d’octroi, à la gestion des fonds et au risque d’endettement excessif dans un contexte de fragilité institutionnelle et économique. Le rejet s’inscrit ainsi dans une volonté de prudence face à des engagements financiers qui pourraient, selon une partie des législateurs, compromettre la souveraineté économique et accentuer la dépendance vis-à-vis de partenaires étrangers.
Cette méfiance trouve également écho dans les craintes de voir se multiplier des interventions susceptibles de créer des déséquilibres budgétaires et de détourner l’attention des réformes structurelles jugées indispensables pour garantir une croissance soutenue et équitable.
Des conditions contraignantes
Pour pouvoir intégrer la liste des établissements autorisés à octroyer des prêts dans le cadre de cette ligne de financement de 80 millions d’euros, les banques et les entreprises de leasing devaient respecter un nombre conséquent de conditions : conformité avec la réglementation prudentielle en vigueur, rentabilité des fonds propres, actifs moyens positifs, et créances douteuses ne dépassant pas 12% pour les entreprises du secteur privé et 17% pour les banques publiques.
Mais ce qui fait dire à l’un des élus ayant rejeté le texte que « ce prêt profite en réalité une fois de plus aux mêmes grandes entreprises bancaires et de leasing du pays, et non pas aux PME », c’est que pour en bénéficier, ces dernières devaient remplir les conditions étaient les suivantes : Ne pas faire partie du secteur touristique ou de l’immobilier, ne pas être une PME à participation étatique de plus de 34%, ne pas être sous sanctions financières, être une société à responsabilité limitée (SARL), une société unipersonnelle ou une société anonyme, être enregistrée auprès des directions fiscales, de couverture sociale et du Registre national des entreprises, et être classée 0, 1 ou 2 à la date du dépôt de la demande de prêt. Elles devaient enfin avoir un encours global de crédits auprès des institutions financières compris entre 150 000 et 15 millions de dinars tunisiens.
30% de l’enveloppe totale comme seuil maximal dédié aux prêts de soutien aux PME impactées par les récentes crises, dont la pandémie de Covid, et 70% de l’enveloppe totale comme seuil minimal dédié au financement des projets d’investissement des PME.
Réagissant à ce rejet, le vice-président de la Commission des finances, Issam Chouchene, a dénoncé aujourd’hui mardi l’absence de concertation préalable entre le gouvernement et l’ARP. Il a précisé que le rejet du projet n’était pas lié aux conditions du prêt, jugées avantageuses, mais au manque de communication de l’exécutif : « Le pays ne peut pas se permettre de recourir indéfiniment aux marchés financiers. Cela dit, il est irréaliste de penser que nous pourrons rompre totalement avec l’endettement », a-t-il averti, allusion à ce revers politique infligé par la ligne de surenchère souverainiste promue par les élus réfractaires.
En février dernier, l’AFD avait dénoncé une campagne de désinformation à son encontre : alors que le démantèlement brutal par Donald Trump de l’USAID, l’agence américaine qui gérait quelque 40 milliards de dollars (environ 38,3 milliards d’euros) d’aides partout dans le monde, jugées à connotation idéologique, l’équivalent français de cette agence a fait l’objet de nombreuses inquiétudes, l’extrême droite française voyant un exemple à suivre dans les économies drastiques initiées par l’administration Trump.