Le message poignant de Ziad Medoukh, professeur de français à Gaza
Dans la bande de Gaza, plus de 26 000 personnes seraient décédées. Près de 64 000 personnes auraient été blessées. Des milliers d’autres sont portées disparues. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes. Au total, environ 1,7 million de civils ont fui leur foyer depuis le début de la guerre, selon l’ONU.
Saisie par l’Afrique du Sud, la Cour internationale de Justice (CIJ), plus haute juridiction de l’ONU, a appelé, vendredi 26 janvier, Israël à empêcher tout acte éventuel de « génocide » à Gaza, une accusation jugée « scandaleuse » par le Premier ministre israélien Benyamin Netannyahou.
Israël, qui contrôle l’entrée de l’aide internationale dans ce territoire assiégé, doit prendre « des mesures immédiates » pour permettre l’accès à l’aide à Gaza, a déclaré la CIJ, qui ne dispose d’aucun levier pour imposer ses décisions.
Alors que l’armée israélienne bombarde sans cesse Gaza, en représailles des attaques du Hamas du 7 octobre dernier qui ont causé la mort à 1 200 Israéliens, Ziad Medoukh, professeur de français à l’Université de Gaza, a décidé de rester dans l’enclave palestinienne. Coûte que coûte. Malgré la mort de son frère, de sa belle-sœur et de leurs cinq enfants le 3 décembre dernier.
Très suivi sur les réseaux sociaux, Ziad Medoukh a livré il y a deux jours un message poignant. Entre optimisme et fatalisme…
« Croyez-moi : ma détermination, mon courage, ma résilience, ma patience, et mon optimisme n’arrivent pas à dépasser ma détresse totale.
Après presque quatre mois depuis le début de cette agression horrible de l’occupation contre la population civile de la bande de Gaza, la situation sur place est de plus en plus catastrophique et terrifiante.
La vie a un goût amer, en fait, il n’y a pas de vie à Gaza. La vie est paralysée totalement.
Il n’y a rien : ni nourriture, ni eau, ni médicaments, ni électricité, ni gaz , ni lait, ni pain, ni fruits, ni légumes, ni viande, ni poulet, ni poissons, ni moyens de transport, ni logement et ni perspectives.
Des milliers d’élèves sont privés de leurs cours, et des dizaines de milliers d’étudiants sont privés de leurs études. Des milliers de fonctionnaires, d’employés et d’ouvriers sont privés de leur travail et de leurs salaires.
Rien ne fonctionne à Gaza actuellement : aucune administration et aucun commerce.
Je suis très triste. Je suis malheureux, je souffre au quotidien comme tous les habitants de cette région dévastée et laissée à son sort par une communauté internationale officielle complice. Et je suis en train de supporter l’insupportable.
J’ai décidé d’écrire ce témoignage pour partager ma peine avec vous les amis et les solidaires de bonne volonté, vous êtes mon seul confort dans cet enfer quotidien.
Quand j’ai un accès à internet, j’essaie de donner des nouvelles, le problème que pour arriver à un point internet je dois marcher deux kilomètres et devant ce point, il y a un monde fou et que chacun à le droit à trente minutes seulement, tout le monde veut avoir des nouvelles de sa famille au sud et le réseau de communication est souvent perturbé et détruit par les bombardements
Je vois vos très nombreux messages de soutien et de sympathie-les personnes qui proposent des aides et des dons, je vous remercie beaucoup, je disais toujours que le plus important c’est la solidarité morale et politique, en plus, moi je suis un simple citoyen palestinien de Gaza, je vis comme tous les habitants, et je ne veux pas être privilégié avec mon réseau et mes nombreux amis et connaissances.
Même si je ne réponds pas car le réseau internet est très faible, vos messages me soulagent moi le citoyen palestinien de Gaza qui a perdu tout et qui essaie de survivre avec le peu d’espoir qui lui reste.
Mon quotidien est très difficile et très compliqué. C’est vrai que j’ai vécu beaucoup de guerres, d’agressions, d’offensives et de carnages. Mais je n’ai jamais vécu une situation horrible comme celle-ci depuis mon enfance.
Actuellement, déplacé d’un quartier à un autre et d’une maison à une autre chez les proches et les cousins, car les bombardements se poursuivent jour et nuit partout dans cette prison à ciel ouvert et fermé, et les chars peuvent arriver dans n’importe quel quartier à tout moment.
Le problème est que dans chaque foyer il y a 30 à 40 personnes qui y habitent, entre habitants et déplacés, et on doit faire face à cette situation exceptionnelle.
Je suis devenu sans domicile et sans-abri et je dois accepter tout dans ces maisons d’accueil.
Je ne peux ni lire ni écrire dans ces maisons, à cause du bruit et la présence de dizaines de personnes, en plus j’ai perdu mes ordinateurs et ma bibliothèque avec ses 3 000 livres en français après la destruction de mon appartement début décembre dernier, je n’ai rien pu récupérer de mes affaires, mes vêtements, mes diplômes, mes livres publiés, mes recherches et mes cours.
Tout le monde rentre chez lui avant 17h, et on dort vers 19h. Le soir on allume des lampes qu’on recharge le matin avec les panneaux solaires. Heureusement qu’il y a toujours du soleil à Gaza, en fait les panneaux solaires ont beaucoup aidé les habitants de Gaza pour avoir un peu de lumière en rechargeant leurs lampes, leurs batteries et leurs téléphones portables pendant cette période d’obscurité et de panne électrique depuis le début de cette agression début octobre dernier.
Pour moi, la nuit, je n’arrive pas à dormir, je pense à mon frère assassiné avec toute sa famille, et je pleure seul, je reviens à mes beaux souvenirs avant cette agression, j’essaie de rêver et d’espérer un meilleur avenir, mais en vain.
Moi, qui remontais le moral des jeunes et des enfants de Gaza traumatisés, je suis devenu sous le choc et traumatisé par la succession des événements tragiques qui ont frappé ma famille et tous les citoyens de Gaza ces derniers mois, et je ne trouve personne pour effacer mes larmes et pour calmer ma colère énorme. Mon cœur saigne tout le temps.
Croyez-moi, je ne suis pas pessimiste, et j’aime beaucoup la vie comme tout le peuple palestinien, mais sur place, notre contexte est inimaginable, inacceptable et horrible !
Pour la nourriture, on mange un seul repas par jour et quelques fois un repas tous les deux jours, il n’y a rien sur les marchés pour manger, souvent une assiette de riz et quelques morceaux de pain, et si on boit une tasse de café ou du thé, c’est un luxe pour nous.
Dans chaque maison, les hommes et les femmes s’activent pour préparer le repas en utilisant le feu de bois, parce qu’il n’y a pas de gaz.
Ce n’est pas l’argent qui manque mais les produits alimentaires et essentiels, car depuis 4 mois aucun produit n’entre à Gaza et il n’y a pas d’aides humanitaires qui arrivent dans le nord de la bande de Gaza.
En plus, il n’y a aucune organisation internationale ou association locale qui s’occupent des personnes démunies et déplacées qui sont très nombreuses actuellement dans la bande de Gaza.
Selon un dernier rapport des Nations unies début janvier 2024, 90% des habitants de Gaza souffrent de l’insécurité alimentaire. Les gens ici ont commencé à mourir de faim.
Sans oublier que les prix sont multipliés par dix, et les rares produits disponibles sont très chers. Une petite bouteille d’eau minérale coûte actuellement à Gaza 5 euros, auparavant son prix ne dépassait même pas 0,10 centimes.
Un kilo de riz qui coûtait 2 euros est passé à 10 euros, un kilo de farine 12 euros avant on l’achetait à 1 euro, et un œuf vaut 3 euros, alors que le plateau de 30 œufs coûtait 4 euros avant l’agression. Tout est très cher à Gaza, et rien n’est disponible sur les marchés.
S’ajoute à tout cela, qu’il n’y a ni fruits ni légumes, en fait, tous les terrains agricoles au nord de la bande de Gaza ont été détruits.
Pour l’eau pas d’eau potable pour boire, et même l’eau à usage domestique, il n’arrive pas dans les robinets, et on l’achète très cher de quelques stations qui fonctionnent encore, car plusieurs puits d’eau ont été détruits. Plusieurs maladies contaminantes touchent les habitants.
Le pire est qu’il n’y a aucune autorité, aucun gouvernement et aucun service municipal qui gèrent et qui contrôlent la situation très critique.
Chacun se débrouille seul pour survivre. Par contre, les Palestiniens de Gaza sont solidaires entre eux, mais quelquefois, les gens n’ont rien pour donner, parce qu’il n’y a rien sur place.
Le matin, le souci de chacun est de chercher à quoi nourrir sa famille et cherche de l’eau avec énormément de difficultés
Quand je marche dans les rues de Gaza, je deviens très malheureux, car dans chaque quartier, il y a des maisons, bâtiments, immeubles et infrastructures civiles détruits et endommagés.
J’apprends chaque jour l’assassinat de mes cousins, proches, amis, collègues, voisins et étudiants, ça me rend très triste car je suis impuissant et je ne peux pas dire un mot de condoléances à leurs familles. Le sentiment d’impuissance est horrible.
Imaginez-vous, il n’y aucune boulangerie, ni magasin, ni pharmacie, ni restaurant et ni café ouvert.
Les gens ici sont très tristes, ils sont préoccupés par leur quotidien tragique, ils pensent à leurs proches disparus et ils essaient de chercher de la nourriture et de l’eau pour leurs enfants, personne ne parle à personne, aucun échange, aucun sourire, tout le monde est sous le choc ; dans chaque famille, il y a des morts, des blessés, des déplacés et des maisons détruites.
Quelques fois, je me demande comment les gens ici font pour survivre et pour exister toujours.
Pour la situation sanitaire, elle est dramatique, aucun hôpital fonctionne, tous les hôpitaux sont hors-service, il y a seulement trois cliniques dans toute la ville de Gaza qui arbitre 300 000 habitants et déplacés, dans chaque clinique, il a seulement cinq ou six médecins bénévoles débordés qui reçoivent.
5 000 patients par jour, sans de vrais médicaments à donner, ou des médicaments expirés.
Personnellement, je suis actuellement malade, je ne trouve aucun laboratoire pour faire des analyses ni pharmacie ni hôpital pour me soigner.
L’armée la plus morale au monde a assassiné 27 000 palestiniens de Gaza jusqu’à présent parmi eux 22 000 enfants et femmes, et en a blessé 70 000. Sans oublier, la destruction de presque 65% des infrastructures civiles.
Le problème est que cette armée lâche et criminelle n’a réalisé aucun objectif fixé pour ce gouvernement d’extrême droite. C’est de la folie meurtrière et de l’impunité totale sans aucune réaction internationale officielle.
Les Palestiniens de Gaza, malgré leur colère et leur malheur apprécient beaucoup les manifestations de solidarité partout dans le monde pour dénoncer ce génocide répété et pour appeler à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza.
Quatre mois très difficiles pour moi et pour tous les habitants de Gaza avec des événements douloureux, ces quatre mois étaient tous terribles.
Le mois d’octobre 2023, au début de l’agression, c’est vrai qu’il y avait des bombardements intensifs, mais j’ai été très occupé, j’accordais des interviews à des médias francophones, j’avais accès à internet et je donnais des témoignages quotidiens et des contacts réguliers avec les amis et les groupes de solidarité avec la Palestine dans le monde francophone, les marchés étaient ouverts et il y avait un peu de nourriture.
Le mois de novembre dernier, la situation est devenue très compliquée, avec le début de l’opération terrestre, l’évacuation de ma famille au sud et l’arrivée des chars dans mon quartier, j’ai été encerclé chez moi dans mon quartier dévasté.
Le mois de décembre 2023 était un mois noir pour moi, avec l’assassinat de mon frère et toute sa famille, la destruction de mon appartement et notre immeuble, et mon obligation de quitter mon quartier pour trouver refuge chez les proches.
Le mois de janvier 2024 a connu la poursuite des bombardements et l’arrivée des chars dans toute la ville de Gaza, et mon obligation de nouveau de chercher d’autres maisons pour y habiter.
Il y a beaucoup d’événements à raconter, j’aurais besoin des pages et des livres pour décrire notre quotidien très difficile sous les bombes et sous le choc avec cette situation humanitaire catastrophique et ce désastre sans précédent, et je ne crois pas encore que je suis toujours vivant, car je vois la mort mille fois par jour, même si je n’ai pas peur de la mort, cependant, je suis inquiet pour notre avenir.
L’aspect positif dans tout cela qui me rend fier de moi : je n’ai pas de haine.
Amitiés palestiniennes de Gaza qui n’est plus Gaza.
Et de Ziad qui n’est plus Ziad. »
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