Le jeunisme serait-il devenu un fait social ?
Le mot « jeunisme » est un concept tout nouveau, d’où la difficulté, aujourd’hui, à le définir. Il n’existe ni dans le Trésor de la Langue Française, ni dans le Larousse en ligne, et selon le Petit Robert, le jeunisme peut être défini comme le « Culte des valeurs liées à la jeunesse ». Serait-il devenu un fait social ?
Plus spécifiquement, nous pouvons dire que, comparativement à l’âgisme, le jeunisme est le revers de la même médaille. D’un côté, le jeunisme caractérise le culte de la jeunesse dans différents domaines, alors que l’âgisme caractérise une discrimination basée sur l’âge qui touche particulièrement les personnes agées.
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Le jeunisme est-il une forme de discrimination ?
Oui, par définition, puisque, selon Lachowsky « cela consiste à distinguer un groupe de personnes des autres, et à lui appliquer un traitement spécifique, sans lien objectif avec le critère qui sert à distinguer le groupe ».
Le jeunisme progresse de plus en plus et devient problématique car il engendre une vision négative de la vieillesse. En effet, malgré le fait que l’espérance de vie ait beaucoup augmenté dans les pays développés, ce phénomène qui est lié à un profond changement sociétal, met de plus en plus en avant la jeunesse au détriment des adultes d’âge moyen ou des personnes âgées.
Le jeunisme est-il devenu un problème sociétal ?
Nous vivons une période dans laquelle de nouveaux paradigmes de la vie ont redéfini les priorités de tout un chacun. Et pour beaucoup d’entre nous, la quête du bien-être en est une.
L’exaltation de la jeunesse
Le jeunisme présente une vision idéalisée de la jeunesse et des valeurs qui y sont associées. D’un point de vue social et économique, la quête de la jeunesse est présente quasiment dans tous les domaines ayant trait soit à la cosmétique, la chirurgie esthétique, l’alimentation, jusqu’à la publicité qui est devenue omniprésente dans notre société contemporaine.
Les médias et le marketing jouent un rôle essentiel dans la publicité et « le jeune » fait donc vendre à travers le procédé de l’identification. Par exemple, à la télévision, l’image d’une femme jeune et séduisante envahit les chaînes et on constate, de plus en plus, que les journalistes, les présentateurs d’émissions, dont l’âge dépasse la cinquantaine, ont quasiment disparu des écrans de télévision.
En plusieurs décennies, le marché du bien-être et de la beauté a bénéficié d’un essor considérable à travers le monde. C’est un profond changement sociétal qui se profile, une arme à double tranchant, au vu des conséquences de plus en plus graves du jeunisme.
L’exemple de la Chine est criant à plus d’un titre, dans l’observation de ce phénomène sociétal. Les mœurs qui n’étaient pas du tout monnaie courante deviennent des phénomènes de mode et de jeunes générations mettent tous les moyens en place pour correspondre aux clichés véhiculés par l’Occident sur la jeunesse. En outre, le culte porté aux personnes âgées a tendance à se perdre de plus en plus et le rapport à l’âge évolue.
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Dans les pays développés, l’industrialisation a favorisé le développement des principaux métiers appartenant au secteur tertiaire, au détriment du secteur primaire. De ce fait, les cadres (supérieurs ou employés, etc.) ont l’obligation de soigner leur apparence physique sur leurs lieux de travail, ce qui, implicitement entraine une augmentation du jeunisme, comparativement, au secteur primaire où les agriculteurs, par exemple, privilégient moins leur apparence physique, puisqu’elle n’est pas essentielle aux yeux de leurs conditions de travail.
Le jeunisme en entreprise
Selon plusieurs témoignages, l’entreprise n’est pas, également, épargnée par le jeunisme. Le rajeunissement des effectifs a été renforcé au détriment des seniors, taxés à tort, de « ringards », du fait de préjugés infondés tels que le manque d’énergie et de l’enthousiasme, la peur de l’irruption des nouvelles technologies ou la résistance au changement. Le jeunisme a eu, également, des conséquences sur le recrutement des talents, à titre d’exemple, les candidats, âgés de 45 à 50 ans, recevraient trois fois moins de réponse positive à leur demande d’embauche, comparativement aux jeunes âgés de 25 à 30 ans.
Cependant, les chefs d’entreprise et leurs directeurs de ressources humaines se rendent compte, de plus en plus, du danger pour leurs entreprises d’appliquer le jeunisme forcené, parfois discriminatoire, et ce dans l’espoir, de se dynamiser elles-mêmes. D’autre part, ils réalisent que la performance économique et sociale de leurs entreprises doit passer par une stratégie du capital humain basée sur une bonne symbiose entre les jeunes et les seniors. Les uns nourrissant les autres.
Impact sur la santé
La dépréciation en fonction de l’âge peut avoir un impact négatif sur la vie des personnes plus âgées, à cause de « l’acharnement » des médias qui jouent un rôle essentiel au sein de notre société contemporaine. Par exemple, plusieurs publicités dévalorisent la vieillesse en mettant l’emphase sur le fait qu’avoir une peau jeune signifie avoir une peau saine et belle à voir.
En outre, certaines recherches ont prouvé que le jeunisme a un effet néfaste sur la santé des personnes âgées qui sont les plus exposées à ces clichés ou ces stéréotypes. Dans une série d’études longitudinales, l’équipe de Levy a montré que « les individus ayant une vision initiale négative du vieillissement rapportent être en moins bonne santé physique, comparativement à des individus du même âge ayant une perception plus positive du vieillissement ».
Que conclure ?
Dans son célèbre roman « La possibilité d’une île » Houellebecq souligne que « la jeunesse n’est pas un bonheur en soi. Se focaliser sur ça, c’est prendre le parti d’être malheureux voire désespéré une fois la jeunesse envolée ».
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