Le gouvernement tunisien poursuit un site d’info

 Le gouvernement tunisien poursuit un site d’info

Nizar Bahloul, fondateur et directeur du journal électronique Business News

Le syndicat des journalistes tunisiens (SNJT) dénonce « une tentative d’intimider les médias », suite aux poursuites engagées par la ministre de la Justice contre un site d’information qui a formulé des critiques sur le bilan de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden.

Le 10 novembre, nos confrères de Business News avaient publié un article intitulé « Najla Bouden, la gentille Woman », un texte qui alliait données brutes et opinion du rédacteur, à propos de la première année au pouvoir de Bouden. La cheffe du gouvernement « en poste à la Kasbah depuis le 11 octobre 2021 (…) n’a rien réalisé en treize mois d’exercice » durant lesquels la situation socio-économique s’est dégradée avec un gouvernement qui « n’a cessé de mettre des bâtons dans les roues du tissu économique », estime l’article certes à charge. Une tribune qui hormis son titre un brin provocateur reste d’une tonalité dont on ne peut pas dire qu’elle relève ni du brûlot ni du papier ordurier.

 

Une plainte pour « diffamation », mais pas seulement

En vertu du décret-loi 54, un décret présidentiel promulgué en septembre dernier, particulièrement répressif, la ministre de la Justice, Leila Jaffel, a ainsi déposé ce vendredi au tribunal de première instance de Tunis une plainte contre Business News pour «diffamation», « allégations mensongères contre un fonctionnaire public » et « outrage contre la cheffe du gouvernement ».

Dans le milieu de la presse, on craint que Business News, l’un des médias francophones les plus lus du pays, serve davantage de ballon d’essai et de jurisprudence que d’un cas isolé. Vivement critiqué par la société civile, le décret en question prévoit cinq ans de prison et une lourde amende pour toute personne « qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères ». La peine est « doublée » si ces « fausses informations » visent des responsables de l’Etat.

Le 14 novembre, le directeur du site, Nizar Bahlou a été convoqué dans un délai exceptionnellement rapide, et entendu par la brigade anticriminelle à Tunis, a-t-il confirmé. « Les questions portaient sur le contenu de l’article et les termes utilisés », a précisé Bahloul. Pour Amira Mohamed, vice-présidente du SNJT, « il n’y a aucune diffamation dans l’article de Business News et le recours à la justice prouve la volonté des autorités d’intimider les médias et les journalistes pour les faire taire ». « Nous dénonçons ce genre de pratiques que nous pensions révolues, en vertu d’un texte liberticide », ajoute-t-elle.

L’affaire intervient dans un climat délétère marqué notamment aujourd’hui mercredi par l’interdiction de voyage signifiée à l’aéroport à Fadhel Abdelkafi, l’un des principaux leaders de l’opposition (centre-droit libéral), ainsi que la réouverture d’une enquête pour meurtre, où l’on tenterait d’impliquer un autre leader de l’opposition, Lotfi Mraihi, qui nie tout lien dans ce crime élucidé il y a 20 ans.