Le dialogue inter-libyen tarde à déboucher sur une résolution de crise
Le président de la République Kais Saïed a plaidé pour une échéance claire en vue de la tenue des élections en Libye permettant de « hâter la reconstruction de ce pays frère ». Un vœu pieux au terme du troisième jour de dialogue inter-libyen dominé par le dossier de la reconstruction ?
Les représentants des circonscriptions électorales de la Chambre des Représentants et du Haut Conseil d’Etat libyens avaient pour rappel tenu une séance de consultations, les 4 et 5 novembre à Bouznika au Maroc, en vue de réussir cette étape déterminante du dialogue politique libyen prévu depuis le départ à Tunis. Transformé en une véritable forteresse, très peu d’infos filtrent des arcanes de l’hôtel Four Seasons à Gammarth, qui accueille ce round des négociations.
Côté tunisien, conformément à sa doctrine prônant la non-ingérence, Carthage assure que l’entremise de la Tunisie n’est que logistique. « Tous les moyens seront mobilisés afin de parvenir à un règlement politique pacifiste et une constitution pour cette étape transitoire », a martelé le chef de l’Etat Kais Saïed, lors du dialogue inter-libyen entamé le 9 novembre à Tunis.
Angélisme VS réalité d’un terrain complexe
« Il n’est pas question de diviser la Libye ou de mettre, le peuple libyen sous tutelle, quelle qu’en soit sa nature », a martelé Kais Saïed pour qui c’est l’occasion d’user de sa rhétorique souverainiste habituelle.
Une posture qui souffre néanmoins de quelques incohérences : l’encadrement et l’égide de la Mission d’appui des Nations Unies (MANUL), de facto en place (via son émissaire et par visioconférence), l’influence des grandes puissances régionales et internationales techniquement absentes de ce sommet mais omniprésentes dans tous les esprits, et la communication présidentielle tunisienne qui, à coup d’affiches mettant en scène Saïed, constitue en soi une forme d’interventionnisme.
Mais en Tunisie, le pays le plus affecté économiquement par la crise libyenne, ce volontarisme est plutôt vu par un bon œil par les Tunisiens et leurs élites qui déplorent la perte de l’influence tunisienne ces dernières années s’agissant du voisin libyen.
Non avare de formules, Saïed a entonné que « ce dialogue sera le prélude historique d’une nouvelle légitimité issue, exclusivement, de la volonté du peuple libyen », notant que ce conclave inter-libyen s’inscrit dans le cadre des efforts entrepris depuis des mois afin de parvenir à un règlement pacifiste à la crise libyenne et d’établir des procédures et des délais clairs.
Lors de la séance inaugurale, tenue en présence de Stéphanie Williams, cheffe par intérim de la MANUL, le président tunisien a mis l’accent sur la nécessité de préserver l’unité de la Libye. « Il n’est pas question de diviser la Libye », a-t-il insisté, mettant en garde contre « tout discours de division », non seulement sur la Libye, mais aussi dans l’ensemble de la région. Des velléités séparatistes davantage fantasmées cependant par le discours conspirationniste que par la réalité du terrain.
« Le règlement du conflit libyen doit être pacifique. Les conflits armés et les hostilités ne peuvent engendrer que des haines et des rancœurs qui perdurent pour les décennies à venir », a affirmé Saïed, consensuel. Pour Saïed, le peuple libyen est capable de surmonter tous les obstacles d’autant qu’il s’agit de « l’un des peuples les plus homogènes qui soient ».
Quel rôle pour l’islam politique et les lobbies économiques ?
Au moins trois ténors des affaires, tous misratis ou proches des Frères musulmans, participent par ailleurs à ce forum de sortie de crise, a-t-on appris. Ainsi le panel des participants « n’est pas simplement politique et humanitaire » note African intelligence. Le secteur économique y est aussi bien représenté. Hommes d’affaires et entrepreneurs influents figurent en effet dans la liste des 75 membres des négociations supervisées par la MANUL.
Parmi eux, Ali Ibrahim Dabaiba, ancien maire de Misrata, ex dirigeant de la Organisation for the Development of Administrative Centres, avant la chute du régime Kadhafi. Il s’agit du frère d’Abdelhamid Dabaiba, qui fut candidat à l’élection présidentielle, fondateur du parti Al Mostakbal et ancien dirigeant du groupe de BTP étatique Lidco.
La proximité avec les Frères musulmans d’Ali Ibrahim Dabaiba, ainsi que d’une vingtaine d’autres participants aux négociations de Tunis, n’a pas manqué en outre de faire réagir les représentants de l’Est libyen, qui avaient menacé en octobre de ne pas y prendre place. Ali Ibrahim Dabaiba est ainsi accusé de détournement de fonds dans plusieurs affaires, notamment à Malte et à Chypre. Il est accompagné de son beau-fils Ahmed al-Sharkasi, qui est également salarié du groupe Dabaiba, tout comme Khalid Ghleo.
Notons également dans la galaxie des Frères musulmans, Abderrazak al-Aradi, présent lui aussi et membre du Parti de la Justice et de la Construction, proche de la Turquie et frère des businessmen Mohammad al-Aradi et Salim al-Aradi.
Idem pour l’influent dirigeant de la holding d’agroalimentaire Al Naseem for Food Industries et président de l’Union générale des chambres du commerce libyennes, Mohamed Raied, aussi présent à la réunion de Tunis. Un député misrati à la Chambre des représentants est proche du conseil présidentiel.
L’absence remarquée d’Husni Bey, homme d’affaires à la tête de la holding familiale HB Group, active notamment dans la grande distribution, l’automobile (concession Kia), la logistique (Esterlab Shipping Agency Co), etc. a fait réagir. Première fortune privée du pays, le magnat originaire de Benghazi a longtemps été très impliqué dans les discussions sur l’avenir politique de la Libye après la chute de l’ancien régime.
En retrait de la scène médiatique et politique, Husni Bey se concentre sur ses projets immobiliers à l’étranger, parmi lesquels la tour Metropolis, dont les 33 étages doivent un jour dominer La Valette, à Malte. Un désintéressement symptomatique de son pessimisme quant à l’avenir proche de la situation politique dans son pays d’origine.