Le controversé limogeage du PDG de Tunisair
Limogeage du PDG de Tunisiair : le président directeur général de Tunisair, Elyes Mnakbi, a été sèchement limogé le 6 juillet 2020, sur décision du ministre d’Etat du Transport et de la Logistique, Anouar Maârouf (Ennahdha). Une décision à caractère en partie politique, problématique du point de vue procédural. Explications.
En attendant la nomination d’un nouveau PDG, le même document informe le PDG sortant de la nomination par intérim de Belgasem Tayaâ, un proche du ministre, en tant qu’administrateur délégué de la compagnie. Or, le ministre du Transport appelle Mnakbi, toujours selon le texte, à convoquer le conseil d’administration de la compagnie nationale pour informer ses membres de « l’élection de Tayaâ » à ce poste…
Informer des membres du conseil d’administration de leur propre élection d’un nouveau PDG ? Voilà qui fait dire à de nombreux observateurs qu’il y a là une anomalie, voire un vice de forme du point de vue de la procédure.
La rhétorique anti-corruption comme outil de réforme
Le limogeage d’Elyes Mnakbi lundi constitue en réalité l’aboutissement d’une offensive entamée une semaine plus tôt, lorsque le parquet avait décidé du placement en garde à vue de 7 suspects, tous cadres et anciens responsables de Tunisair.
Le tribunal de première instance de Tunis avait alors expliqué via son porte-parolat que cette décision a été prise par le Pôle judiciaire économique et financier « suite à une plainte déposée par le ministre des Transports », mais aussi aux rapports et plaintes déposés par la suite concernant des soupçons d’abus et de corruption financière à Tunisair Technics.
Une plainte déposée consécutivement aux résultats des missions effectuées par l’inspection générale du ministère des Transports, concernant un dossier de réparation présumée frauduleuse de six réacteurs d’avions.
Depuis l’arrivée du ministre technocrate islamiste en février 2020, il est de notoriété publique qu’un conflit existentiel couve entre les deux hommes. Interrogé par les médias nationaux sur son limogeage hier soir, Elyes Mnakbi va dans un premier temps démentir, affirmant attendre « une décision des hauts représentants de l’Etat ». Sous-entendu : le PDG n’entend répondre qu’au seul chef du gouvernement. Une rébellion de courte durée, mais qui en soi illustre les luttes de pouvoir et la défiance au sommet de l’Etat tunisien.
Comme pour signifier sa volonté de mainmise personnelle, l’homme qu’Anouar Maârouf a désigné pour « être élu » administrateur, Belgacem Tayaâ, est l’un de ses propres conseillers, un haut cadre de la finance. Il a auparavant occupé le poste de président directeur général de la SNIPE- La Presse.
Bras de fer politicien
Après une amère expérience dans les premières années post révolution à la tête des ministères régaliens, Ennahdha avait exprimé à partir des années 2014 – 2015 sa volonté de briguer des ministères essentiellement techniques ainsi qu’aux services. Des ministères plus « low profile », amis censés prouver que le parti dispose de compétences modernes.
Quadragénaire au moment d’être investi en 2016 ministre des Technologies de l’information et de l’Économie numérique, Anouar Maârouf est l’un des principaux visages technocratiques de cette tendance de la normalisation type AKP des techno-conservateurs.
Son arrivée au portefeuille névralgique du Transport début 2020, assortie d’un grade de ministre d’Etat, traduit la volonté d’Ennahdha désormais d’engager de grands chantiers au sein des compagnies nationales publiques.
Après son arrivée fin 2016 aux commandes de Tunisair, Elyès Mnakbi, ancien colonel de l’armée de l’air, annonce en 2018 vouloir se séparer de près de 1200 employés dans le cadre d’un gigantesque plan de redressement de la compagnie lourdement déficitaire. Il sous-entend que parmi ces fonctionnaires, les nombreux bénéficiaires de l’amnistie générale post révolution ont bénéficié de recrutements superflus par ses prédécesseurs.
Un plan qu’il n’aura donc jamais l’occasion de mener à terme. L’actuelle menace de destitution qui pèse sur le gouvernement tout entier a semble-t-il accéléré les velléités de son limogeage.
Selon l’article 92 de la constitution tunisienne, le chef du gouvernement est compétent en matière de « création, modification et suppression des établissements et entreprises publiques et de services administratifs, ainsi que la fixation de leurs attributions et prérogatives, après délibération en Conseil des ministres ».