L’armée réquisitionnée pour rénover une piscine municipale à Tunis
Le président de la République, Kais Saïed, s’est rendu le 16 février à la piscine municipale de la place Pasteur, dont la rénovation est à la charge d’un établissement bancaire sous la supervision du génie militaire relevant de Forces armées militaires, « avec la contribution de ses compétences », précise un communiqué du Palais de Carthage. L’opposition dénonce « une disproportion de moyens au service d’un coup de com’ électoraliste ».
Inopinée, la visite fut « l’occasion pour le chef de l’Etat de discuter avec un certain nombre de citoyens des moyens et des délais fixés pour ce projet de rénovation, et de s’enquérir de leurs préoccupations ». C’est probablement là un aveu implicite concédé par la communication du Palais : anecdotique, la piscine municipale de la capitale, certes laissée à l’abandon des décennies durant, n’est en réalité que le prétexte à autre chose, en l’occurrence l’un des ressorts de la gouvernance populiste qui agit systématiquement par réaction aux faits divers, rarement par anticipation.
Car nul besoin d’être un fin observateur de l’actualité tunisienne pour comprendre que ce qui a motivé ladite visite inopinée, c’est le récent et malheureux échec cuisant du champion olympique tunisien Ayoub Hafnaoui aux mondiaux de natation au Qatar. L’étonnante contre-performance agite en effet depuis quelques jours les plateaux des médias nationaux, qui ont comme souvent dans ces cas-là évoqué la question des négligences des politiques publiques notamment en matière d’infrastructures sportives. Conformément à la réputation acquise par ce que ses détracteurs appellent « une présidence facebookienne », qui agit par improvisation, au gré des indignations collectives ponctuelles sur les réseaux sociaux, le déplacement présidentiel n’a pas tardé.
Et force est de constater que cela fonctionne ! Plaire aux foules politiquement naïves et recueillir leur totale adhésion est somme toute chose aisée lorsque quelques photos suffisent, avec la désormais habituelle photo enlaçant un enfant, pour montrer que l’on s’active et que l’on se soucie des générations futures.
La rhétorique surannée du redresseur de torts
Pour l’opposant et ancien député Zied Ghanney, « face à sa propre impuissance chronique, l’actuel pouvoir s’est inventé un narratif simpliste et imparable censé répondre à toutes les crises. Un « ils », indéfini, constitué de « vilains corrompus » sans jamais en dévoiler l’identité précise, serait à l’origine de tous nos maux, y compris les chantiers inachevés par manque de moyens » […] Ainsi « les finances publiques ne seraient pas en piètre état pour cause de mauvaise gestion, non, mais parce qu’on nous aurait volé. Une main invisible a volé le peuple… Un narratif qui garantit à son instigateur de rester longtemps au pouvoir, puisqu’il entretient l’espoir que justice sera rendue un jour et que le Guide de la nation punira les fauteurs ».
Pour Ghanney, ce même pouvoir d’inspiration quasi divine n’admet pas la contradiction et encore moins la nécessité de rendre des comptes, y compris à la presse à laquelle il n’accorde aucun entretien.
A huit mois de la très théorique date de l’élection présidentielle, il sera quoi qu’il en soit difficile pour les électeurs d’évaluer le bilan du mandat de Kais Saïed, en l’absence de débat télévisé inenvisageable au moment où la plupart des chefs de l’opposition sont soit incarcérés soit à l’exil, lorsqu’ils n’ont pas choisi de boycotter tout scrutin depuis 2021.