L’Afghanistan pris dans le piège de la roue du hamster
Tribune de Sébastien Boussois
L’été dernier avait été brûlant en Afghanistan. Il l’est encore plus cette année, et bien au-delà du réchauffement climatique et bien loin de la guerre en Ukraine. Une fois encore, comme à de nombreuses reprises dans l’histoire, l’Afghanistan est livré à lui-même, loin des yeux des Occidentaux et des intérêts géostratégiques qui priment dans nos agendas actuellement. 97% des Afghans vivent en dessous le seuil de pauvreté. Ils étaient un peu plus de 70% du temps des Américains tout de même.
C’est avec le retour des Talibans la chute finale, avec une crise alimentaire sans précédent, pour un pays qui vit dans l’instabilité et les guerres depuis près de 50 ans. En effet, ce pays, malgré une résilience forte et à toutes épreuves, semble vivre l’épreuve de la roue que le hamster parcourt inlassablement, sans jamais trouver d’échappatoire à sa condition et encore moins à sa cage.
Kaboul n’a ni pétrole ni gaz, et ne peut en aucun cas être un partenaire dans quoi que ce soit qui puisse nous concerner à l’heure actuelle. Essentiellement agricole, gangréné de nouveau par la production du pavot, l’Afghanistan a une économie à l’arrêt, un système bancaire failli, une éducation effondrée, des couches de populations entières marginalisées, des femmes bâillonnées tout comme les LGBT.
Le pays ne vit même plus de notre soutien occidental depuis la chute de Kaboul le 15 août 2021 et le départ de tous les Occidentaux, aidés par le Qatar dans une opération de pont aérien inédite dans l’histoire. Au-delà de la gabegie financière qu’a représenté la lutte contre le terrorisme depuis l’invasion américaine post 11 septembre 2001, « l’édification d’un Etat » qui n’a jamais marché, la fuite des élites corrompues avec l’argent de la reconstruction essentiellement aux Emirats arabes unis avec Achraf Ghani, le dernier président « des Occidentaux », c’est un naufrage afghan total qui met aujourd’hui près de 40 millions d’individus dans une situation intenable. Quel avenir pour des millions d’individus qui ont connu la guerre, sont nés dans la guerre, ont vécu la lente reconstruction d’un pays, le retour des Talibans chassés du pouvoir il y a vingt ans ?
Selon la mission d’assistance des Nations unies encore sur place en 2020, il y avait eu près de 40 000 civils tués depuis 2009, date où l’on enclencha le compteur. Mais quid depuis 2001 ? Près de 4000 soldats de la coalition ont perdu la vie depuis l’invasion du pays. On estime que le nombre de morts à venir avec la situation économique incapable d’être améliorée par les apprentis-sorciers talibans, pourrait dépasser d’ici l’année prochaine le nombre de morts depuis 2009.
Que dire du terrain politique ? Les Talibans s’étaient engagés, dans le cadre des négociations et des accords de Doha avec les Américains, à ne pas financer le terrorisme international ou héberger certains de ses artificiers. Pourtant, Ayman Al Zawahiri a été éliminé dernièrement par les Etats-Unis, en plein Kaboul, dans une maison connue des autorités et un quartier tout autant connu des notables tribaux. Est-ce à dire que les Talibans n’auraient pas eu vent du retour du chef d’Al Qaïda arrivant en toute discrétion depuis le Pakistan en Afghanistan ? Fort peu probable. L’ont-ils livré en gage de bonne foi aux Américains, malgré une proximité avec les Talibans ? On peut en douter, Zawahiri étant proche du réseau d’Haissam Haqqani, les plus durs des Talibans dans le pays, prêts à zéro concession avec Washington.
Que peuvent dire aujourd’hui, tous ceux qui dans le monde, pensaient naïvement que les Talibans n’auraient d’autre choix que de se normaliser pour être acceptés par la communauté internationale, obtenir des aides, et permettre au pays de survivre ? La matrice génétique des Talibans est radicale, austère, anti-femmes, anti-LGBT. Y renoncer aurait été se perdre et se diluer à l’image de la mondialisation dans l’uniformisation d’une société qui se démarque justement par son kaléidoscope culturel. Ils ont sûrement fait semblant pour faire passer la pilule, pour se présenter comme plus acceptables surtout qu’Al Qaïda ou que la Wilayat Khorasan, branche de l’Etat islamique en Afghanistan, qui rêve de prendre le pouvoir, sont en embuscade.
Mais les faits sont là aujourd’hui : l’ancienne élite afghane était corrompue jusqu’à l’os. Les Talibans sont incapables de gouverner et les rivalités entre le pouvoir central de Kaboul et l’ensemble des chefaillons et tendances diverses au sein même de la mouvante sont fortes. Qui peut venir à la rescousse des Afghans ? La Chine a très vite, en août dernier, marqué son intérêt pour le pays, rencontré des hauts dignitaires afghans, et manifesté un intérêt encore plus grand pour toutes les terres rares dont Pékin raffole et dont le sous-sol afghan regorge. Mais cela ne suffira pas, d’autant qu’on connait le déséquilibre des relations chinoises avec le reste du monde et ses « partenaires ». Des pays voisins comme l’Ouzbékistan ou le Tadjikistan ont aussi cherché à soutenir le pays et maintenir des relations avec les Talibans.
Ce qui est sûr c’est que l’on a perdu le hamster, et que la grande roue chinoise montre clairement aujourd’hui que le pays reste un pays d’Asie centrale, collé au Pakistan, avec un degré d’explosivité proche de pays pauvres et radicalisés comme le Bangladesh par exemple, mais que plus on le laissera s’effondrer, plus il représentera une nouvelle menace majeure pour l’ensemble du continent eurasien et bien au-delà. Notre échec, ce n’est pas la victoire des Chinois mais en partie. L’échec des Talibans , ce n’est pas le leur dans leur tête, mais hélas celui des Afghans mais pas seulement. Ce sont eux qui paient en dernier ressort.