La Tunisie se dirige-t-elle vers le rationnement de l’eau potable ?

 La Tunisie se dirige-t-elle vers le rationnement de l’eau potable ?

Le rationnement de l’eau a-t-il été activé dans le Grand Tunis ? Réputée pour son mutisme et son manque de transparence dans sa communication avec les citoyens, communication souvent inexistante quand il s’agit de coupures d’eau intempestives, la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) botte en touche et invoque encore des réparations du réseau de distribution pour expliquer la généralisation des coupures nocturnes de l’eau potable. Les responsables sont-ils dans le déni ?

 

Bon nombre des quartiers résidentiels de l’Ariana et de Tunis ont accueilli la première nuit du ramadan par des robinets d’eau asséchés. On le sait, le déficit pluviométrique qui a atteint plus de 50% durant la période allant de septembre 2022 à la mi-mars 2023 a entrainé un manque de plus d’un milliard de mètres cubes en termes d’apports aux barrages qui s’en trouvent bientôt à sec.

 

Un taux de remplissage de 16% et des barrages asséchés

C’est ce qu’a indiqué le directeur général du Bureau de la planification et des équilibres hydrauliques au ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, Hamadi Habaieb, l’un des rares cadres à communiquer sur le sujet de façon non opaque dans le climat d’auto-censure qui règne dans le pays.

Dans le cadre d’une campagne de sensibilisation, la Sonede multiplie les SMS envoyés aux Tunisiens depuis la mi-mars, sans en dire davantage sur la réalité de la situation des réserves stratégiques d’eau

Les réserves en eau disponibles dans les barrages du pays, 37 au total, ont ainsi baissé de 390 millions de m³ par rapport à la même période de 2022, a-t-il précisé lors d’une conférence nationale sur les changements climatiques et les ressources hydrauliques, tenue mercredi au siège de la centrale patronale UTAP. Il a en outre évoqué l’impact du déficit pluviométrique sur le système hydraulique Sidi Salem (eaux de l’extrême nord qui regroupe plus de 18 barrages, alimente 7 gouvernorats en eaux d’irrigation (Béja, Bizerte, Grand Tunis et Nabeul) et fournit l’eau potable aux gouvernorats du Grand Tunis, mais aussi Nabeul, Sousse et Sfax.

A cet égard, le taux de remplissage du barrage de Sidi-Salem (Testour-Béja), le plus grand barrage de Tunisie ne dépasse actuellement pas les 16%, a-t-il alerté, soulignant « la situation très critique de ce barrage très impacté par les changements climatiques ».

Pour ce faire, il a clairement suggéré au ministère de l’Agriculture de procéder à des coupures nocturnes de l’eau potable, dans les gouvernorats à haute densité démographique pendant l’été, « dans la cadre de la stratégie de rationalisation de l’utilisation des ressources hydrauliques ». Mais beaucoup de Tunisiens sont persuadés que cette stratégie des coupures nocturnes a d’ores et déjà discrètement commencé, des coupures qui ne disent pas leur nom, l’exécutif ayant conscience de l’extrême impopularité de ces mesures pourtant monnaie courante notamment dans l’Algérie voisine depuis des années.

« Le ministère œuvre actuellement à fournir l’eau potable et d’irrigation à partir des barrages de Sidi Barrak et Sejnane. Quelque 850 000 m3 d’eau sont quotidiennement transférés à partir du système hydraulique du nord, pour assurer la disponibilité d’eau potable », a souligné Hebaieb, ajoutant que « le ministère accorde la priorité à l’eau potable, puis aux grandes cultures et à l’irrigation des arbres fruitiers ».

Commentant une proposition formulée par l’UTAP concernant l’utilisation de la technique de dessalement de l’eau de mer pour couvrir les besoins en irrigation, Habaieb a estimé que cette technique est encore coûteuse (3 dinars au mètre cube), ce qui explique le choix retenu par l’Etat d’orienter les eaux issues des stations de dessalement (celle de Djerba et les 3 autres en cours de réalisation à Gabès, Sfax et Sousse) vers les besoins en eau potable. Il évoque également l’orientation retenue vers l’intensification de l’utilisation des eaux traitées dans l’irrigation des grandes cultures face à la rareté des ressources en eau, sachant que l’utilisation de ces eaux par le secteur agricole ne dépasse pas actuellement 8%.

 

La transparence vis-à-vis des citoyens : un impératif éthique et légal

Le coordinateur de l’Observatoire tunisien des eaux, Alaa Marzouki, a pour sa part évoqué hier mercredi 22 mars 2023 « des coupures nocturnes répétitives de l’eau courante dans plusieurs régions ». Il a assuré que depuis la semaine dernière, plusieurs régions du pays ont connu une baisse de la pression de l’eau ou des coupures sans avoir des explications de la part du ministère de l’Agriculture Ni de la Sonède. Un mépris qui confine à l’infantilisation des citoyens.

Le coordinateur de l’Observatoire a par ailleurs indiqué que les régions concernées sont approvisionnées en eau à partir du barrage Sidi Thabet. Il a estimé que l’opération de rationalisation de l’utilisation des ressources hydrauliques aurait en fait déjà commencé à cause de la situation difficile des barrages. « Il ne s’agit que d’une probabilité car nous ne savons pas si c’est à cause de travaux ou car la rationalisation a commencé », a-t-il cependant tempéré.

Quoi qu’il en soit, Marzouki a appelé les autorités à la transparence et à informer les citoyens de la situation. « Il faut informer en cas de programmation d’une coupure surtout que la situation s’annonce compliquée cet été… Nous sommes en train de payer la facture des mauvaises politiques de gestion mais il faut au moins informer les consommateurs avant de couper l’eau », a-t-il conclu.

 

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