La Tunisie interdit l’entrée d’une délégation d’eurodéputés sur son territoire
Tunis a refusé l’entrée sur son territoire d’élus du Parlement européen hier jeudi 14 septembre. Des eurodéputés qui dénoncent en retour l’attitude du très autoritaire président Kaïs Saïed, ainsi que l’accord controversé signé le 16 juillet dernier entre Carthage les droites dures européennes.
Contrairement à ce qu’avaient avancé certaines sources, la délégation n’a en réalité même pas décollé. Au moment où ils devaient se rendre à Tunis jeudi 14 septembre, cinq députés du Parlement européen se sont vus refuser l’entrée sur le territoire tunisien. Officiellement, les autorités tunisiennes n’ont pour l’instant donné aucune motivation pour leur décision, se contentant d’adresser une fin de non-recevoir à la délégation l’avant-veille.
Les députés de la Commission des Affaires étrangères, dont trois Français, qui composaient la délégation avaient pour mission de « mieux se rendre compte de la situation politique actuelle », de nombreux opposants étant actuellement incarcérés pour avoir rencontré des diplomates européens.
Mais les eurodéputés étaient aussi censés faire le point concernant l’accord sur les flux migratoires, signé à la mi-juillet entre l’Union européenne et la Tunisie. Emmenée par le député allemand Michael Gahler (PPE, chrétien-démocrate), la délégation avait prévu de rencontrer des membres de la société civile, des syndicalistes et des représentants de l’opposition tunisienne. Une semaine auparavant l’avocate Dalila Ben Mbarek s’était réjouie en conférence de presse de cette visite quoique tardive de ces officiels européens.
Strasbourg exige des explications et dénonce un chantage
Interdits d’entrée, les représentants de Strasbourg ont fustigé hier une attitude « sans précédent depuis la révolution démocratique de 2011 », avant de réclamer à Tunis une « explication détaillée ». À Strasbourg, la décision des autorités tunisiennes a du mal à passer. En refusant l’accès à des députés européens, le président Kaïs Saïed « se croit autorisé à choisir ses interlocuteurs parmi les Européens et pense qu’il n’a pas besoin des représentants du peuple pour toucher les centaines de millions que lui a promis Ursula von der Leyen », s’est insurgé le député Mounir Satouri (Verts), membre de la délégation.
Le groupe Socialistes et Démocrates du Parlement européen a de son côté réclamé la suspension « immédiate » du « partenariat migratoire ». Parmi les inquiétudes : que l’Union européenne s’avère impuissante face à Tunis, les deux parties étant liées par la signature de l’accord. « C’est un modèle qui nous rend dépendant de systèmes autocratiques qui ensuite peuvent nous faire chanter », a regretté l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (groupe Socialistes et Démocrates). Allant dans son sens, l’élue française Valérie Hayer (Renew Europe) a déploré l’ouverture de « la voie au chantage ».
En plus de provoquer la colère des députés, l’incident diplomatique alimente surtout les débats autour du partenariat migratoire. Signé en grande pompe cet été, le partenariat entre l’Union européenne et la Tunisie vise en théorie à « lutter contre l’immigration irrégulière ». Inquiète de la hausse du nombre d’arrivées, notamment dans Italie de Girogia Meloni qui a piloté l’accord, l’UE a prévu une enveloppe de 105 millions d’euros pour aider la Tunisie à renforcer le contrôle de ses frontières, mais de plus grosses sommes soumises à une entente préalable avec le FMI. L’accord inclut des livraisons de bateaux, de radars mobiles, de caméras et de véhicules, ainsi qu’une coopération accrue pour lutter contre les réseaux de passeurs.
Sauf que deux mois après sa signature, le plan est loin de faire l’unanimité chez les eurodéputés. Mardi dernier lors d’un débat houleux au Parlement européen, plusieurs d’entre eux n’ont pas hésité à exprimer leur opposition virulente au mémorandum. Du côté des Verts, la néerlandaise Tineke Strik a fustigé un « accord sale avec l’implacable dictateur Saied », faisant référence à la dérive autoritaire et les discours xénophobes du chef d’État. Même à droite et à l’extrême droite, on estime la mise en œuvre du partenariat insuffisante pour faire baisser le nombre d’arrivées en Europe.
Lors de son discours sur l’état de l’Union mercredi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a tenté tant bien que mal de défendre l’accord, qu’elle était venue signer elle-même à Tunis en juillet dernier. Citant un « modèle pour des partenariats similaires à l’avenir », la présidente a assuré que le plan avait permis une augmentation des interceptions de bateaux et des sauvetages.
Sans convaincre, puisque plus de 7 000 personnes, en provenance de Tunisie pour la plupart, ont débarqué mardi et mercredi à Lampedusa, une des principales portes d’entrée vers l’Europe, soit l’équivalent de la population locale sur cette île, qui s’est déclarée en état d’urgence aussitôt.
Raillant l’intervention de von der Leyen, l’élu d’opposition représentant les Tunisiens d’Italie, Majdi Kerbai, a publié une vidéo montrant le désintérêt des eurodéputés lors de ce discours où Ylva Johansson faisait du crochet en signe de profond ennui.
>> Lire aussi : La Tunisie et l’UE signent un accord controversé sur l’immigration