Mouss & Hakim : “NOTRE GOUAILLE À NOUS, ELLE EST TOULOUSAINE”
Mustapha (dit Mouss) et Hakim Amokrane, du groupe Zebda, continuent d’écumer les scènes françaises. Pour y reprendre des titres de la formation toulousaine, des chants du patrimoine de l’immigration ou de luttes. Les deux frères expliquent leurs liens avec la Ville rose et l’Occitanie.
Depuis “Baudis”, extrait de “L’Arène des rumeurs” (1992), jusqu’à “Le dimanche autour de l’église” (“Second tour”, 2012), on trouve trace de Toulouse dans tous vos albums. A quoi répond l’omniprésence de votre ville d’origine dans votre production artistique ?
Mouss : En fait, à nos débuts, quand on partait en tournée et qu’on commençait à dépasser la Loire, on était interpellés sur le thème “Oh, les Marseillais !” Mais on n’est pas marseillais, nous ! Du coup, on était amenés à préciser : Zebda, c’est un groupe de Toulouse. C’est dans le regard des autres qu’on comprend qu’on a un accent et qu’on le mesure. Au départ, on n’en était pas conscients. Après, on a affiné cette particularité en rencontrant des gens qui nous ressemblent, des enfants de l’immigration postcoloniale issus des quartiers populaires de l’est ou du nord de la France, et qui ont leurs propres accents. Avec eux, on a un dénominateur commun mais aussi une singularité : nous sommes toulousains, et on trouve ça intéressant, y compris artistiquement.
Hakim : Et puis, quand on a enregistré notre premier album, les accents étaient très audibles. Il était hors de question de les nier ou de les atténuer.
A aucun moment vous vous dites : “On va mettre notre accent toulousain, ça va faire vendre” ?
Mouss : Non, ça s’est fait naturellement : tous les deux, on est les “ambianceurs”, et qui dit ambiance dit gouaille. Par définition, une gouaille, c’est une manière d’être et de parler, une oralité en public, et la nôtre, elle est toulousaine. Donc, vu que c’est notre rôle, spontanément, on a accentué ce côté-là. Dans la Ville rose, il y a une dimension terroir, des accents paysans. Lorsqu’on était jeune, on riait de la façon de parler de certains d’entre nous, qui mettent des “cons” et des “bouducons” partout, en roulant les “r”. Ces habitudes viennent de loin. En fait, c’est la vraie dimension rurale de Toulouse.
Et vous vous appropriez cette dimension ?
Mouss : On ne parle pas l’occitan, mais on utilise des mots et des expressions locales dans nos chansons. Et tout au début de Zebda, de par notre démarche militante, nous connaissions des occitanistes. On a notamment rencontré Claude Sicre, des Fabulous Trobadors, qui nous a écrit Baudis dans le premier album. Lui et son groupe nous ont transmis une autre vision de l’histoire de France. On s’est rendu compte que le pays était excessivement centralisé politiquement. On a appris que le vieux paysan occitan avait été exclu parce qu’il n’était pas parisien. On l’a frappé pour qu’il ne parle plus occitan, on l’a obligé à renier son identité. Ça nous a fait réfléchir, d’autant que même dans notre espace militant, on constate que les Parisiens n’en ont pas conscience. Tout ça nous a permis de mieux cerner le rapport que la France entretient avec sa propre histoire, sa difficulté à accepter les autres identités : elle a commencé par ne pas tolérer ses propres différences intérieures !
Quels liens entretenez-vous avec des figures locales de la chanson française, comme Francis Cabrel ou feu Claude Nougaro ?
Hakim : Sur l’accent, justement, quand on a commencé à faire de la musique, Nougaro nous a “déstressés” direct. Lui, je l’écoutais ; Cabrel, pas trop. Mais, dans les deux cas, ça faisait plaisir : on voyait qu’ils chantaient sans atténuer leur accent et que ça marchait. En réalité, ça fonctionne même très bien avec la musicalité du mot. Nougaro étant un maître en la matière.
Mouss : Comme nous, Nougaro était originaire des Minimes, au nord de Toulouse. Du coup, on entendait souvent parler de lui sans trop connaître ses chansons. A l’époque, c’était la star du quartier. Les dernières années de sa vie, on l’a souvent croisé. En 2005, il nous a même écrit un texte, Bottes de banlieue, qui figure sur notre premier album.
Au début des années 1990, le groupe IAM débarque, mettant en avant, lui, son identité marseillaise…
Mouss (qui interrompt) : Avant, en 1984, il y a eu Massilia Sound System. Un jour, on a vu ce groupe faire du rub-a-dub (genre musical jamaïcain dérivé du reggae, ndlr) et du sound system avec une identité locale assumée. Ils ne se prétendaient pas jamaïcains. Ils étaient marseillais et faisaient du rub-a-dub marseillais, allant même jusqu’à signifier leur identité dans le nom qu’ils s’étaient donné. C’était fabuleux !
Et vous vous dites, on sera, nous, “le” groupe de Toulouse ?
Mouss : Non, à cette époque-là, on voulait juste “mettre le feu”. Et pour cela, on a vite compris qu’il fallait être soi-même. C’était quelque chose qui plaisait aux gens et qui fonctionnait en termes d’énergie.
Vous êtes issus des quartiers qui sont plutôt football, mais dans une région où le rugby est un marqueur fort et pas toujours inclusif. Vous entretenez un lien particulier avec le ballon ovale ?
Hakim : En tant que Toulousains, nous supportons évidemment l’équipe locale (le Stade toulousain, ndlr). Moi, j’ai fait du rugby à XIII durant mon enfance et mon adolescence. Nous vivions aux Minimes, un quartier où, à l’époque, il n’y avait pas trop d’Arabes. Tous les anciens étaient des Français qui parlaient le patois ! Lors des finales, nous nous retrouvions place du Capitole. Après, c’est vrai que quand je jouais dans les campagnes, en entendant mon prénom, des mecs m’appelaient “le bougnoule” ou “le melon”… Mais j’étais protégé, car j’avais un entraîneur qui allait les voir pour les calmer.
Mouss : On a été footeux, mais par exemple Motivés ! le titre de notre album de 2001, est un terme emblématique de la culture rugby.
L’an dernier, dans le quartier des Izards, avec des musiciens de la scène locale, vous avez organisé une sorte de bal populaire sous chapiteau…
Hakim : Oui, nous voulions partager un concert en retrouvant l’esprit de ces bals. Dans notre jeunesse, à force de se faire refouler à l’entrée des boîtes, nous allions aux bals populaires. Un retour aux sources, pour ainsi dire…
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