Kamal Benkoussa : « A Londres, il y a une énergie positive »
Cet ex-trader a officié près de quinze ans dans la capitale anglaise. Il y a écrit sa partition de vie, construit l’homme qu’il est devenu. Rencontre avec un professionnel aguerri, fier de ses origines algériennes et de son enfance modeste à Charleville-Mézières, qui, en 2014, s’est présenté à l’élection présidentielle en Algérie.
Racontez-nous vos débuts en tant que trader à Londres…
En 2000, j’ai été embauché par le fonds d’investissement américain Goldenberg Hehmeyer. J’ai d’abord été en formation sur des logiciels de simulation, à partir de réels mouvements de marché. Ils nous avaient appris à tenir une sorte de journal de bord. A la fin de chaque journée, on y transcrivait nos émotions, nos analyses du marché, nos erreurs…
Justement, comment reprend-on confiance en soi quand on se trompe et qu’on perd beaucoup d’argent ?
En essayant de comprendre les raisons de cette erreur. C’est important de prendre une certaine distance. Ensuite, vous remettez de petites positions sur le marché. Plus elles marchent et plus vous reprenez confiance et augmentez le volume de vos transactions. La chute est rapide mais se reconstruire prend du temps. On peut perdre une fois sur une position, mais pas deux. Le patron du fonds me disait d’ailleurs : “Souviens-toi d’une chose : ta valeur sera la valeur de ton dernier trade.”
Quelles sont les spécificités de la place financière de Londres ?
Ce qui est bien à Londres, c’est qu’il y a une énergie positive. Chaque année des jeunes du monde entier arrivent avec de nouvelles idées. Et se retrouver dans un environnement où l’on n’est pas jugé sur son nom, ses origines, ou même son accent quand on parle anglais. Où les seules choses importantes sont la compétence et le résultat. Cela a été un bouleversement dans ma vie. Ça m’a permis de comprendre que tout est possible.
Pourquoi avoir arrêté la finance ?
J’avais fait le tour de la question. Puis, le Printemps arabe est arrivé. Je sentais une volonté de changement en Algérie, et je pouvais être plus utile là-bas. Je me suis présenté à l’élection présidentielle en 2014. Au-delà de ma volonté de redonner de l’espoir à la jeunesse en partageant mon parcours de fils d’ouvrier algérien devenu partenaire dans un fonds américain, j’ai voulu défendre un programme de réformes socio-économiques progressistes pour mon pays.
En Angleterre, le Brexit risque de changer la donne. Comment le percevez-vous ?
J’ai toujours cru en la théorie que l’Europe va se disloquer. C’est une grosse machine qui comporte énormément de dysfonctionnements. Croire qu’une monnaie unique peut niveler toutes ces économies est une illusion terrible. L’Angleterre a toujours eu son indépendance vis-à-vis de sa monnaie, ses taux directeurs, sa banque centrale. Elle était dépendante de l’Europe par rapport aux subventions et au marché. C’est possible que la place financière de Londres s’effondre. Ça peut marquer le début d’un démantèlement de l’Europe.
Le Brexit peut-il se révéler une opportunité pour le Maghreb ?
Pas forcément. Ça le devient si le leadership des pays permet d’avoir des avantages comparatifs et de s’inscrire dans cette globalisation. Il faudrait d’abord qu’on se pose la question de quelle Algérie nous voulons léguer à nos enfants dans trente ans. Les ressources pour penser tout cela sont en Algérie, et j’ai espoir qu’un jour toutes les forces vives du pays participeront à l’édification d’une grande Nation.
La suite de la Série Société : London Calling
Amina El Abed, une enfant du siècle
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017