François Boulo : « Nos propositions, le gouvernement en fera des boulettes de papier »

 François Boulo : « Nos propositions, le gouvernement en fera des boulettes de papier »

crédit photo : Charly Triballeau/AFP


Le grand débat national voulu par Emmanuel Macron, comme réponse aux gilets jaunes, sera clôturé le 15 mars. L’avocat et porte-parole du mouvement à Rouen ne croit pas en cette nouvelle agora virtuelle. Pour lui, il faut redonner de la dignité aux plus démunis. 


Le 17 novembre, la mobilisation des gilets jaunes naissait suite à l’instauration d’une taxe écologique sur les carburants. Trois mois après, quel regard portez-vous sur la tournure du mouvement ?


Je ne sais pas si l’on pouvait prévoir comment les choses allaient tourner. Mais, à titre personnel, j’avais prédit que l’élection d’Emmanuel Macron à la présidentielle pousserait les Français dans la rue au bout de six mois. Je me suis trompé d’un an…


 


Qu’est-ce qui vous a fait prophétiser cela ?


Contrairement à ce qui transparaissait dans la campagne médiatique dont a bénéficié Emmanuel Macron, on connaissait sa ligne idéologique. A la différence de ses prédécesseurs, on savait qu’il aurait l’arrogance de la jeunesse, qu’il passerait en force. Il porte en lui le mépris de classe. Déjà en tant que ministre de l’Economie, il avait eu des saillies assez méprisantes. En 2016, alors en visite à Lunel, il avait déclaré à deux hommes en grève pour protester contre la loi Travail : “Vous ne me faites pas peur avec vos tee-shirts. La meilleure façon de se payer un costard est de travailler.”


 


Selon vous, il incarne ce mépris de classe. Mais, au lendemain des attentats du 13 novembre, il déclarait devant le think tank, Les Gracques : “Nous avons progressivement abîmé cet élitisme ouvert républicain (…)”, et, pointant l’islamophobie latente, “quelqu’un, sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane, a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre”…


Oui, mais il voulait dissoner par rapport à Manuel Valls, alors sur des positions plus radicales. Or, les sujets sur lesquels l’attendent les Français, aujourd’hui, ce sont les 9 millions de pauvres et les inégalités sociales, notamment.


 


Pour autant, Emmanuel Macron est au pouvoir depuis presque deux ans. Quid du passif laissé par différents gouvernements précédents ?


Cela fait quarante ans que la gestion de ce pays est catastrophique, mais Emmanuel Macron franchit un pas supplémentaire en matière de cadeaux faits aux riches, en augmentant la contribution sociale généralisée (CSG) aux retraites, aux pensions invalidantes. Ce n’est pas mentir que de dire qu’il est allé plus loin que d’autres. Il a beaucoup donné à ceux qui ont déjà trop ! Sur la forme, on n’a jamais eu autant d’insultes lancées aux plus démunis.


 


Certains pointent un manque de pédagogie dans la méthode macronienne. Etes-vous d’accord ?


Il faut arrêter avec cet argument ! Nous comprenons très bien les réformes. Le problème est qu’on n’en veut pas. En Marche ! veut en mettre en place à tout prix pour montrer qu’il œuvre contre l’immobilisme. Si Emmanuel Macron voulait vraiment agir en faveur du peuple, il devrait réserver le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) aux PME par exemple !


 


Justement, la question du CICE fait partie des sept propositions plébiscitées lors de l’émission co-organisée par Cyril Hanouna et Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes. Ces propositions ont-elles une chance d’aboutir ou était-ce de la politique spectacle ?


Sur le CICE, Marlène Schiappa a esquivé le sujet. Elle a seulement fait la boîte aux lettres. Or, on sait très bien que le gouvernement va faire des boulettes de papier de ces propositions et les ­jeter à la poubelle. Même si les sept propositions retenues découlent du bon sens !


 


Vous plaidez aussi pour une TVA à 0 % sur les produits de ­première nécessité. N’y a-t-il pas un risque de concurrence exercée par des pays à la conquête économique de l’Europe ?


Sur la TVA sociale, nous vivons dans un monde où la concurrence est faussée. L’urgence est aujourd’hui de permettre aux gens de pouvoir vivre décemment. Si l’on craint la concurrence, alors mettons en place davantage de protectionnisme.


 


Avec la réforme de l’impôt sur la fortune (ISF), Emmanuel ­Macron semble avoir franchi le Rubicon. Rendre le pays plus attractif pour les riches est, selon le gouvernement, une façon de les inciter à investir dans l’économie réelle. Qu’en pensez-vous ?


La réforme telle qu’elle a été faite ne permettra pas d’atteindre cet objectif. Avant elle, tout le patrimoine était imposé, les ­valeurs mobilières comme l’immobilier. Mais, il y avait une exonération pour l’investissement à hauteur de 50 % pour ceux qui investissaient dans le capital des PME. Pour favoriser l’investissement dans l’économie, il aurait fallu exonérer à 100 % ceux qui investissent dans l’économie réelle en fiscalisant l’épargne, l’action, l’immobilier… Or, ces 350 000 personnes assujetties à l’ISF n’ont plus besoin d’investir, car le gouvernement a également exonéré les valeurs mobilières. Par conséquent, ils spéculent sur les marchés. Mais, la finance ne sert pas l’économie réelle.


 


Au-delà des questions économiques, le mouvement des gilets jaunes semble peiner à trouver une homogénéité. Comment l’expliquez-vous ?


Je ne pense pas que le mouvement soit hétérogène non plus. Il y a une ligne de base avec des revendications très claires. Sur les formes d’actions, le mot d’ordre était bien de ne pas aller aux élections européennes. D’abord parce que le Parlement européen n’a aucun pouvoir, donc les avancées ne pourront être concrètes. Ensuite, en y allant, nous affaiblirons les partis d’opposition, tout en renforçant le parti au pouvoir.


 


La convergence des luttes n’arrive toujours pas, au bénéfice d’Emmanuel Macron. Comment expliquez-vous que les habitants des quartiers populaires restent timorés face aux gilets jaunes ?


Je ne sais pas pourquoi les banlieues ne sont pas mobilisées. Mais, ils ont tellement été exclus de la société, qu’ils ont recréé leurs schémas. Je pense qu’il y a une forme de résignation.