Mounir Kabbaj : « Nos salles de concert devraient ressembler à nos rues »

 Mounir Kabbaj : « Nos salles de concert devraient ressembler à nos rues »

crédit photo : Eglantine Chabasseur


Ce passionné de musique organisait déjà des concerts lorsqu’il avait 17 ans dans la salle polyvalente du lycée Lyautey de Casablanca. Aujourd’hui, il est à la tête de la société de booking et de management Ginger Sounds.


Quelle vision défendez-vous au sein de votre agence ?


La meilleure façon de vous parler de Ginger Sounds, c’est de vous présenter la nouvelle étoile de la pop nubienne Alsarah & The Nubatones (voir pages 72-73). Elle fait de la rétro-pop est-africaine en s’inspirant des sons soudanais des années 1970 et 1980, et en les revisitant. L’idée est de travailler sur des esthétiques ­hybrides entre musiques traditionnelles et musiques actuelles. Il faut bien comprendre que nous sommes en train de sortir définitivement de la World Music des années 1980 et 1990 produite par des Occidentaux. ­Alsarah appartient à cette génération d’artistes, qui a bien intégré la notion du “do it yourself” (fais-le toi-même, ndlr). Avec une identité non négociable et des supports de communication stylés.


 


Quel constat portez-vous sur l’industrie des musiques du monde en France ?


Il y a une méconnaissance telle que lorsqu’on parle d’un artiste sénégalais à certains programmateurs, ils ne voient qu’un boubou avec un djembé. Ils ignorent totalement l’existence d’artistes comme, par exemple, Ibaaku, qui est aussi avant-gardiste que les DJ berlinois. Il y a aussi cette artiste d’Afrique de l’est, à qui on a demandé si elle pouvait animer un atelier de percussions d’Afrique du Nord. C’est comme si on demandait à un joueur de biniou breton de faire du flamenco parce que tous deux vivent sur le même continent. La France est un des pays les plus postcoloniaux dans sa vision des musiques du monde ce qui peut sembler paradoxal puisque c’est le pays qui en programme le plus. Le problème c’est qu’elle le fait avec une vision postcoloniale.


 


Il y aurait un problème avec les programmateurs ?


L’an dernier, un article édifiant a été publié par ­Mediapart, intitulé “Les insidieuses œillères des vieux mâles blancs programmateurs de musique”*. Il a mis un gros coup de pied dans la fourmilière. L’article était sans doute excessif, mais de toute évidence, le rock, aujourd’hui, s’est déplacé un peu partout dans le monde. Que ce soit à Ramallah, à Johannesbourg, Dakar ou au Caire ! Il est grand temps que nos salles de concert et nos plateaux télé ressemblent à nos rues !


 


Quels sont les lieux et les personnalités qui donnent toute leur place aux musiques du monde ?


Les Suds, à Arles. C’est un magnifique festival entièrement dédié aux musiques du monde. Il est dirigé par Marie-José Justamond et Stéphane Krasniewski, deux humanistes qui ont compris le sens de l’histoire. J’ai aussi un grand respect pour Jean-Louis Brossard, fondateur des Trans Musicales de Rennes. Ce festival est fondé sur la découverte d’artistes. Voilà un vrai travail de programmation !


 


Qu’en est-il du Maghreb ?


Il y a bien sûr Visa For Music, à Rabat, qui est “le” salon professionnel dédié aux nouvelles scènes d’Afrique et du Moyen-Orient. Il a été créé par Brahim El Mazned, qui a fait un travail colossal en sillonnant le monde pour donner une stature internationale à cet événement. A cette occasion, j’ai constaté une vraie ­demande en matière de formation ce qui nourrit mon rêve de créer un jour une école des métiers du spectacle au Maroc.


* Par Gilles Ivain. Mediapart. 8 septembre 2016.


Tous les concerts de Ginger Sounds, c'est par ici


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MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017