Le hip-hop s’embourgeoise
Les compétitions du rue (ou battles) de hip-hop ont longtemps été l’un des marqueurs de la culture alternative des quartiers populaires, avant de s’institutionnaliser. Pour Abdel Chouari, quadruple champion du monde de breakdance, les fondamentaux demeurent, malgré tout
Il semble bien loin le temps des “block parties”, ces fêtes de quartiers qui s’étaient répandues au début des années 1970 dans les quartiers populaires de New York. Une rue fermée, un peu d’électricité détournée, un DJ, et la fête en mode autogestion. Terreau fertile pour le hip-hop et espace d’éclosion des “battles”, ces défis entre danseurs sur la dalle ou le bitume ont fleuri aux Etats-Unis. Eléments saillants d’une contre-culture populaire urbaine qui n’allait pas tarder à débarquer en France.
Trente ans plus tard, “le côté un peu sauvage, improvisé, de ces rassemblements est clairement en retrait, mais on essaie de continuer à organiser des moments un peu comme ça, à l’ancienne, avec juste des jams, un DJ, un sol pour danser…”, constate Abdel Chouari, alias Bboy Abd-L, quatre fois champion du monde de breakdance.
Une Break’in School près de Toulouse
A 32 ans, il fait partie des cadors de la scène mondiale. Il est notamment le fondateur et directeur de Break’in School, la première école de breakdance française installée dans la banlieue de Toulouse, qui fêtera ses dix ans en 2018. L’établissement organise chaque année le Nothing2Looz battle. Un “événement du top 5 mondial” où se retrouvent des danseurs de 21 pays : “La crème de la crème réunie sur le même plateau.”
La prochaine édition de ce rendez-vous “all styles” (danse debout et au sol) aura lieu le 7 avril prochain à Colomiers (Haute-Garonne). Les participants, seuls ou en équipe, s’affrontent durant quinze minutes en dansant sur la proposition musicale d’un DJ en “live” devant un jury composé de trois à cinq personnes. Soit un format de compétition contraint et organisé, qui attire vers cette discipline un public nouveau, issu des classes moyennes des centres-villes.
Enterrée la dimension banlieusarde et underground des battles ? “Au fil des ans, elles se sont raréfiées dans les cités, confirme Abdel Chouari. A l’origine, ça avait commencé dans les quartiers populaires et on essayait péniblement de gagner les centres-villes. Aujourd’hui, c’est presque le contraire. Tout le monde veut du hip-hop…”
De fait, rares sont les centres sociaux ou les MJC des métropoles qui ne proposent pas des cours de danse hip-hop dans leurs catalogues d’activités. Au risque de réduire la discipline à sa dimension purement sportive et performative. “Les battles, c’est aussi la culture du défi et c’est l’essence du hip-hop, il ne faut pas que ça disparaisse, prévient Abdel Chouari. Moi, je viens de là et je sais tout ce que cela draine de positif : le dépassement de soi, la combativité, le respect, l’abnégation, la confiance en soi… Tout ça, je le dois en grande partie à ma pratique des battles.” Mais, “la société évolue”, et le hip-hop est devenu “une vraie culture”, constate celui qui a su en faire un business rentable. “Pour moi, c’est plutôt positif et, en tant qu’acteur du secteur, j’essaye de le démocratiser.”
Discipline officielle des JOJ
Une “démocratisation” (un embourgeoisement ?) qui devrait atteindre son apogée planétaire du 6 au 18 octobre 2018, lors des Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) à Buenos Aires : pour la première fois, le “breaking” y sera présent comme discipline officielle. Une première phase de sélection numérique s’est achevée le 31 juillet, permettant de retenir “395 danseuses et danseurs de breaking, qui auront désormais la chance de disputer les qualifications continentales, ce qui les portera encore un peu plus près de leur rêve olympique”, peut-on lire sur le site dédié aux JOJ. Quarante ans après les “blocks parties” subversives de Harlem, les battles, ça peut valoir de l’or.
MAGAZINE NOVEMBRE 2017
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