Merzak Allouache : « Ce film m’a conforté dans mon pessimisme »
A quoi ressemble le paradis ? Cette question revient en leitmotiv dans le documentaire de Merzak Allouache. Dans Enquête au Paradis, des Algériens de tous bords décrivent leur éden. Et c’est édifiant !
Quel a été le déclic pour réaliser ce documentaire ?
On m’a fait parvenir une vidéo où un prédicateur salafiste promet un paradis peuplé de 72 houris (vierges célestes, ndlr) aux “vrais” musulmans. Elle m’a d’abord fait sourire, puis je me suis rendu compte combien cette propagande était choquante. J’ai eu envie de savoir ce que les Algériens en pensaient.
Quelles ont été les révélations de cette enquête ?
Ce projet m’a conforté dans mes opinions sur l’Algérie. Depuis la décennie noire, ce pays connaît une amnésie qui n’a favorisé ni la démocratie ni le débat d’idées sur la religion. Ce film m’a confirmé que nos sociétés arabes et musulmanes sont dans une triste situation. Et je pense que si j’avais tourné au Maroc, en Tunisie, en Egypte ou en Libye, j’aurais fait le même constat. Ce documentaire renforce mon pessimisme. Les jeunes, le plus gros de la population, ont fréquenté une école qui forme à l’intolérance. Le système éducatif ne remplit plus son rôle depuis les années 1970, avec l’arabisation brutale et l’arrivée massive de professeurs d’Egypte dont la majorité avait des idées proches de celles des Frères musulmans. Et ce fondamentalisme se perpétue d’une génération à l’autre.
L’écrivain Kamel Daoud, l’un des intervenants dans votre film, fait ce terrible constat sur les jeunes qui “veulent vivre mais après la mort”…
Ils ont envie de vivre, mais on leur dit que la jouissance sera supérieure dans l’au-delà. Ce phénomène n’est pas nouveau. Quand j’étais petit, ma mère me décrivait l’enfer et le paradis. A l’époque, on ne parlait pas des houris, mais d’un éden où coulent des rivières de miel. Par ailleurs, la frustration sexuelle a été utilisée par ces prédicateurs. Pour preuve, le discours du cheikh que l’on voit dans le film a une portée dévastatrice. Comme le souligne l’écrivain Boualem Sansal, cette vidéo qui dure quelques minutes abîme le cerveau de millions de gamins.
La décennie noire qu’a connue l’Algérie n’aurait-elle pas dû la vacciner contre l’obscurantisme ?
La jeune romancière Sarah Haidar va même plus loin, elle estime que cette période aurait dû engendrer un peuple athée. Le problème, c’est que nous n’avons pas eu de débat sur cette période, ni sur les dérives de la religion. L’amnistie a été décrétée mais n’a rien réglé. Ceux qui ont été témoins de massacres, parfois de leurs propres parents, ont énormément souffert et vivent avec des traumatismes. On a voulu tout étouffer dans une sorte d’amnistie-amnésie générale, mais ça ne fonctionne pas. Les gens n’ont pas pu faire leur deuil et la société algérienne est restée bloquée. Sur le plan culturel, il ne se passe rien. Les jeunes ont le choix entre la herga (partir clandestinement, ndlr), la mosquée et le foot.
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