La Libye s’enlise dans un chaos institutionnel

 La Libye s’enlise dans un chaos institutionnel

Fathi Bachagha

La Tunisie n’est pas le seul pays où les répliques du tsunami anti révolutions arabes se fait sentir. Cela fait en effet bientôt une semaine que la Libye voisine est dirigée par deux Premiers ministres distincts, suite à un vote controversé du Parlement. Décryptage d’une inextricable impasse.

Discours de Fathi Bachagha, à son arrivée à l’Ouest libyen

Un vent anti démocratique souffle via, là aussi, un coup de force institutionnel, celui du camp de l’Est libyen contre celui de Tripoli, à la différence près avec la Tunisie que c’est en l’occurrence un pouvoir législatif qui tente de renverser un chef de l’exécutif, et non l’inverse.

Ainsi la chambre des représentants siégeant à Tobrouk a investi l’influent ex-ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, pour succéder à Abdelhamid Dbeibah à la tête d’un gouvernement d’intérim.

 

Scène surréaliste

A son arrivée à l’aéroport de Mitiga, près de Tripoli, en provenance de Tobrouk, Fathi Bachagha a tenu des propos quelque peu grandiloquents qu’il voulait « historiques », tout en « remerciant » son prédécesseur Dbeibah pour « toute son œuvre » de façon ambiguë : une certaine courtoisie teintée de défiance.

Les expressions « ouvrir un nouveau chapitre », et « tendre la main à tous » ont également été lâchées. « Je suis confiant du souci du gouvernement à respecter les principes démocratiques », a-t-il par ailleurs tenu à rassurer. Ancien pilote de chasse, ce nouvel homme fort dispose encore de 8 jours pour former un gouvernement et le soumettre au Parlement.

Il n’est pas clair à l’heure qu’il est si Abdelhamid Dbeibah acceptera de lui céder le pouvoir, chose qu’il a jusqu’ici refusée, même s’il a promis d’accepter une transition avec « un gouvernement sorti des urnes ». Fort du soutien de l’ONU, il a fait encercler plusieurs bastions du pouvoir de Tripoli par des unités militaires.

 

Retour à la violence armée

Le 10 février dernier, des tirs ont visé tard dans la nuit le convoi de Abdelhamid Dbeibah à Tripoli, sans faire de victimes, d’après le ministère de l’Intérieur, qui a aussitôt ouvert une enquête. Stabilisé un temps après une guerre civile de près d’une décennie, le pays avait été dirigé entre 2014 et 2016 par deux Premiers ministres rivaux à l’Ouest et à l’Est, puis le gouvernement Dbeibah avait été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, qui étaient prévues en décembre 2021, avant d’être finalement reportées sine die.

Actant un « retour à la case départ » selon de nombreux spécialistes de la Libye, ce report avait été décidé sur fond de désaccords persistants entre un pouvoir à l’Est incarné par le Parlement et le maréchal Haftar, et un autre à l’Ouest autour du gouvernement de Tripoli et le Haut Conseil d’État.

Au moment où ce report se profilait, Fathi Bachagha – l’un des candidats le plus en vue de l’Ouest libyen à la présidentielle – s’était alors rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi. Un déplacement qui s’avère payant, puisque sa rencontre avec le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL), a fait de lui un représentant de facto de ce pacte synonyme de prise de pouvoir. Sorte de coup d’Etat soft, drapé d’un semblant de démocratie, d’où le parallèle avec les évènements du 25 juillet 2021 à Tunis lorsqu’un tank de l’armée avait pris place au Bardo.

L’ANL a naturellement salué la désignation de Fathi Bachagha comme Premier ministre et affirmé « soutenir la décision du Parlement ». Quant au Parlement libyen, qui estime que le mandat de Abdelhamid Dbeibah a expiré avec le report des élections, il avait retenu deux prétendants : Fathi Bachagha, 59 ans et l’outsider Khaled Al-Bibass, lui aussi ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.

Avant de faire procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh, a affirmé que Khaled Al-Bibass avait retiré sa candidature, laissant Fathi Bachagha seul en lice. Mais cité par des médias libyens, Khaled Al-Bibass a démenti. C’est que les nouveaux pouvoirs post printemps arabe ne s’embarrassent pas de cohérence, ni même d’intégrité.

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