La guerre d’Algérie bat encore la campagne
Il y a quelques semaines était célébré le 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, l’occasion pour le président Macron de tendre une main (électoraliste?) pour une réconciliation entre les deux pays. Thème souvent abordé, la colonisation divise les candidats à la présidentielle de dimanche. Revue d’effectifs.
Par Donia Ismail
C’est un thème régulier de l’élection présidentielle française. La guerre d’Algérie, et plus précisément la question de la mémoire autour de ce conflit, réapparaît tous les cinq ans lors de l’entrée en lice des candidats. Dans un paysage politique où les stigmates de la colonisation prennent de plus en plus de place, le scrutin du printemps prochain ne risque pas d’y échapper.
A ce vif débat s’ajoute une conjonction des calendriers : le premier tour est prévu le 10 avril, trois semaines après l’anniversaire des 60 ans des accords d’Evian, qui avaient mis un terme à huit ans de guerre. Le président français ayant une importance considérable dans l’évolution de la mémoire collective, Le Courrier de l’Atlas s’est intéressé aux différentes positions des candidats face à cette problématique.
MARINE LE PEN (Rassemblement national)
Elle est l’une des candidates les plus volubiles sur la question. Depuis des années, Marine Le Pen inonde le débat politique de ses commentaires, comme son père, ancien combattant français en Algérie, le faisait jadis. “C’est un élément essentiel de la reconquête politique électorale du parti”, affirme Olivier Le Cour Grandmaison, politologue. Sa posture tient en trois mots : pas de repentance, comme elle l’affirme dans un tweet, au moment de la commémoration des massacres du 17 octobre 1961. “Alors que l’Algérie nous insulte tous les jours, Emmanuel Macron continue à rabaisser notre pays. Ces repentances à répétition de[1]viennent insoutenables et attentent à l’image de la France !” Car c’est bien ce qu’elle prône : le retour à un nationalisme français agressif, dénué de toutes vérités historiques. “Elle magnifie l’entreprise coloniale, n’hésite pas à réécrire une partie de l’histoire”, martèle Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d’Algérie et commissaire général de l’exposition Juifs d’Orient à l’Institut du monde arabe. Marine Le Pen, à l’image de son parti, refuse que l’on attaque la grandeur supposée de la France et peint l’Algérie française comme une sorte d’Eden. Une rhétorique apologétique plutôt classique, forgée sous la IIIe République, bien présente à la droite de l’échiquier politique français.
ÉRIC ZEMMOUR (Reconquête !)
Ses discours sont plus radicaux que ceux de Marine Le Pen. Il n’hésite pas à en faire sa marque de fabrique, “dans un contexte de rivalité politico-électorale avec le RN”, note Le Cour Grandmaison. Le fond reste semblable : Eric Zemmour condamne toute forme de repentance et glorifie la présence française en Algérie. Sur CNews, il ira même jusqu’à se dire, en tant que français, “du côté du général Bugeaud”, lequel avait “commencé à massacrer les musulmans et même certains juifs” lors de son arrivée en Algérie. Une sortie qui vaudra à la chaîne de Vincent Bolloré une mise en demeure du CSA. Autre argument qui le différencie de la candidate du RN : Zemmour utilise son histoire personnelle à des fins politiques. “Il cherche à légitimer son discours sur la colonisation en forgeant une sorte de roman familial”, analyse le politologue français. L’essayiste est lui-même issu d’une famille de juifs pieds-noirs, arrivés en France en 1952. Il joue de cet élément autobiographique pour s’attirer le vote d’un lectorat convoité à droite : celui des rapatriés. Comme Marine Le Pen, il évite de parler des exactions commises par l’Hexagone. Et lorsqu’il s’y attarde, c’est pour les légitimer. En 2018, sur RTL, il réagit à la reconnaissance par l’Etat français de la disparition de Maurice Audin, résistant communiste. “En décembre 1956, il y avait 122 attentats. Imaginez, tous les jours un Bataclan (…). Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de torture, mais le jeu en valait la chandelle.” Il ajoute, un peu plus tard, que sur ce fait historique, la France Magali Cohen/Hans Lucas/AFP n’était pas responsable. Pire, qu’elle “n’a rien fait de mal, c’était légal”.
VALÉRIE PÉCRESSE (Les Républicains)
Ses sorties autour de la question mémorielle sont plus rares. Elles émergent en même temps que sa candidature et dépassent le cadre de la guerre d’Algérie. C’est au sujet de la critique de la colonisation qu’elle s’élève. “Je souhaite qu’on ne réécrive pas l’histoire de France avec la vision du XXIe siècle. C’est ça le vice de cette ‘cancel culture’, l’anachronisme”, avait-elle déclaré. Et cela s’applique à l’Algérie française. “Je ne pense pas qu’il faille déconstruire l’histoire (…). Tous les pays ont besoin de se dire qu’ils sont à l’origine de grandes choses et c’est le cas de la France”, soulignait-elle sur RTL en ce début d’année. Avant d’ajouter que la colonisation a apporté “de bonnes et de mauvaises choses” et qu’Emmanuel Macron avait “honte” de l’histoire du pays. Encore ce refus de repentance, d’égratigner l’imaginaire de l’Hexagone. “Son discours, plutôt classique, trouve son origine dans la volonté des droites parlementaires à voter, en février 2005, la loi sur les rapatriés”, explique Le Cour Grandmaison. Pour rappel, ce texte porté par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, avait soulevé une vive controverse, notamment du fait de son article 4 alinéa 2 : “Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française Outre-mer, notamment en Afrique du Nord.” Un texte abrogé un an plus tard. Cette rhétorique permet à Valérie Pécresse et au parti Les Républicains de tenir un discours équilibré. “Ils re[1]connaissent, certes, qu’il y a eu des éléments négatifs dans la colonisation de l’Algérie. Mais ils seraient, affirment-ils, en partie pondérés par des éléments prétendument positifs, contre toutes vérités historiques et statistiques.” Et encore, ce sont les infrastructures et l’alphabétisation qui sont mises en avant.
EMMANUEL MACRON (La République en marche)
Sa position est finalement à l’image de sa politique dite du “en même temps”. En 2017, alors qu’il est candidat à l’élection présidentielle, il qualifie, en Algérie, la colonisation de “crime contre l’humanité”. Une déclaration qui a suscité un tollé retentissant à droite. Jamais aucun prétendant à l’Elysée n’avait osé dire cela. Au cours de son quinquennat, il commande au spécialiste français de la question, Benjamin Stora, un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie. “C’est le sujet historique sur lequel Emmanuel Macron s’est beaucoup investi, souligne Thomas Guénolé, politologue et essayiste. Il a fait pour cette thématique ce que Jacques Chirac avait fait pour la collaboration et la déportation des Juifs de France.” En se fondant sur ce rapport, le chef de l’Etat a multiplié les gestes en l’espace de quelques années. Parmi eux, la reconnaissance de la disparition et de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, la demande de pardon aux harkis, la restitution à l’Algérie de 24 crânes de résistants décapités en 1849. Soit “plus de décisions que lors des soixante dernières années, commente Benjamin Stora. Il y a eu les discours, maintenant il y a les actes.” Et puis, il y a les déceptions. Lors de la dernière commémoration du 17 octobre 1961, le président dénonce des “crimes inexcusables (…) commis sous l’autorité de Maurice Papon”. “Ce sont des propos indignes. Chacun sait que le préfet de police de l’époque n’a fait qu’obéir à des ordres”, rappelle Le Cour Grandmaison, directeur de l’ouvrage collectif Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat à Paris (éd. La Dispute). “Par sa déclaration, Macron a transformé ce crime d’Etat en un crime personnel.” Quelques semaines plus tard, il faisait la une de la presse après avoir questionné lors de discussions privées, l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation. Il reprend ainsi l’une des rhétoriques les plus courantes de l’extrême droite : celle qui insinue que sans la France, l’Algérie ne serait qu’un désert aride.
ANNE HIDALGO (Parti socialiste)
La candidate du PS est à l’image de la position de son parti : moins elle en parle, mieux elle se porte. Les discours et gestes sur cette thématique se comptent sur les doigts d’une main. En octobre dernier, la maire de Paris a dévoilé une stèle commémorative “pour mieux rendre hommage” aux victimes algériennes du 17 octobre 1961, sur le pont Saint-Michel. “C’est l’histoire de Paris, notre histoire, celle d’une ville qui n’accepte pas ce type de répression, qu’on puisse tuer des femmes et des hommes parce qu’ils manifestaient pacifiquement pour une cause”, a-t-elle déclaré lors de la cérémonie. En dehors de cela, Anne Hidalgo ne s’est pas aventurée sur ce su[1]jet. “C’est sans doute générationnel. Au moment de la guerre d’Algérie, elle était gamine”, avance Guénolé. Un silence qui interpelle Benjamin Stora : “En refusant de faire un examen critique de son passé, la gauche laisse la porte ouverte à l’extrême droite.
YANNICK JADOT (Europe Ecologie-Les Verts)
Là encore, les écologistes paraissent peu impliqués dans la discussion : “Pour eux c’est un non sujet, car ils arrivent dans le champ politique français après l’indépendance de l’Algérie”, explique Thomas Guénolé. Yannick Jadot a pourtant manifesté dans les rues de Paris à l’automne dernier, lors de l’hommage aux victimes du 17 octobre 1961. “Il faut nommer la réalité de ce qui s’est passé : c’est un crime d’Etat. Il n’y a pas de démocratie sans vérité”, a-t-il exprimé sur les réseaux sociaux. “Les écologistes ont été à la pointe du combat sur l’égalité et cela passe par la reconnaissance des mémoires différentes”, rappelle Sabrina Sebaihi, porte-parole du candidat à la présidentielle. Quant à l’épineuse question de la repentance, la conseillère d’Ivry-sur[1]Seine admet qu’“il est difficile de se positionner, car nous n’avons pas les faits objectifs. Une fois que les archives seront ouvertes, que les historiens auront fait leur travail, on pourra adapter la réponse de l’Etat français par rapport à ce qui s’est réellement passé.”
JEAN-LUC MÉLENCHON (La France insoumise)
A l’image de la gauche, le candidat de la France insoumise reste globalement très discret sur ce sujet. Néanmoins, il demeure un défenseur de l’apaisement entre les deux peuples. “Il avait annoncé lors de sa campagne de 2012 que s’il remportait le scrutin, il effectuerait son premier voyage officiel en Algérie et non en Allemagne, pour entériner solennellement la réconciliation franco-algérienne”, raconte Guénolé. Cette position tient de ses origines : Jean-Luc Mélenchon est un pied-noir du Maroc. “Le fait qu’il reste des traces d’animosité très lourdes entre les deux rives de la Méditerranée l’interpelle personnellement”, poursuit le spécialiste de l’extrême gauche. Le natif de Tanger avait déclaré, la même année : “Les pieds-noirs qui raisonnent savent une chose : maintenant, la guerre est finie, on s’aime, on a des enfants ensemble.”
FABIEN ROUSSEL (Parti communiste)
Le PCF entretient une relation plutôt spécifique avec la question algérienne. “Historiquement, les communistes ont toujours été pour la décolonisation et l’indépendance du pays, rappelle Guénolé. Ils étaient fondamentalement anti-colonialistes et sont restés sur cette ligne-là de manière très ferme.” Aussi ont-ils milité pour la vérité sur la disparition de Maurice Audin. Plus récemment, le candidat du PCF, Fabien Roussel, s’est exprimé dans une lettre ouverte en faveur d’“une journée d’hommage aux victimes des crimes du colonialisme”, de la désignation d’“une commission d’enquête afin de faire toute la lumière sur la terreur coloniale dont ont été victimes les Algériens de France”. Le tout pour permettre “aux mémoires de la nation algérienne et de la nation française de s’accorder enfin”.
CHRISTIANE TAUBIRA
Sur ce sujet, les propos de la candidate fraîchement annoncée restent très rares, si ce n’est inexistants. Pourtant, sa chargée de communication, Clara Paul Zamour, confie que “la date du soixantième anniversaire sera importante”, sans pour autant clarifier la position de l’ancienne garde des Sceaux. “Christiane Taubira reste une autorité morale considérable sur des thèmes de mémoire collective comme l’esclavagisme. Mais celui de la colonisation et de la décolonisation, dans le cas du Maghreb, n’en fait pas partie”, conclut Thomas Guénolé.
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